The World’s Hub

Not poor, but adjacent to that, I lived
in an outer suburb, undistinguished but
for the mauve-blue mirrored panels of glass

alongside the feeder lanes. Not country
and no sort of city. Everyone drove, to all points
within the limits of nowhere; the rest

incarcerated on public transit: packed
in the high-wattage strip light
sat the poor, the mad, the adolescent

and license-suspended, the daylight
drunk, and Malton’s newly arrived.
Hours-long treks through air-quality

alerts, fingering vials of hash oil and
transfers back. Or earlier, at the thin edge
of long dusks, the Bookmobile

dripping grease on clean tarmac
nudging the lower leaves of young maples,
I kissed a Jamaican boy with three

names, his loose jheri curls
looked wet and right, black helices
in the bay windows’ blue glow.

And something inside me took root;
a thing mine that I didn’t own, but cared
for, as I had for a pink-eyed rabbit,

loved without reason and was returned
nothing in kind, and so what? The flurry
of rose-brick façades being raised

on cul de sacs without sidewalks, outlets
and outlets, the sameness, and grimmer storeys
of the projects beyond the ballpark

were a weird history I was casting love
upon even as I wanted to leave it. I worked
retail, weekends, from within an awareness
 
of myself as Self; the brown carpeted tiers
of the library, ravine parties, parading
my young body through malls. The world’s

hub, improbably, here, under untranslatable
verses of powerlines, kestrels
frozen above vast grassland of what used

to be farm. November like a tin sheet
blown up from the lake over Mimico, with
garbage and refuse I’d build

a hilltop to the moon over Mississauga —
chip bags, flattened foil wrappers, shopping
carts growing a fur of frost, the shocking

volume and echo of squat women’s voices,
here from blasted South Balkan huts
via Budapest; Filipinos, Croatians

with income come to make good
and did, dressed us in suede pantsuits
at ten, or terry summer halters, confident

with adults, curious, clean. Damp
electrical storms, bloated purgings
of rain turning the avenues to linked lakes.

The low slung buses veering, Albion-bound
but stalled in a monoxide cloud
somewhere on the usual grid . . .

it was the world’s hub.
If you feel otherwise, that it constituted negative
space, I can only say it’s a postulate

without need of proof but for the love
I had for it. I knew before I could speak
of it — that great, horrible sprawl

folded under airport turbulence, advancing inland
each year, breeding signposts, arteries, housing —
it was life as it was lived. Raspberries. The smell of gas.

© House of Anansi Press
从: Airstream Land Yacht
Toronto: House of Anansi Press, 2006
录制: 2007, Literaturwerkstatt Berlin

Le centre du monde

Pas pauvre mais presque, je vivais
dans une banlieue éloignée, insignifiante, mis
à part les panneaux de verre aux reflets mauve et bleu

le long des bretelles de l’autoroute. Ni la campagne
ni vraiment la ville. Ceux qui étaient motorisés circulaient partout
à l’intérieur des frontières de nulle part ; les autres

étaient emprisonnés sur la voie publique : emballés
dans des néons crus
assis le pauvre, le fou, l’adolescent

le sans-permis, l’alcoolique
journalier et le nouvel arrivant à Malton.
Les trajets interminables à travers les alertes

de pollution, les mains dans les poches, jouant avec des fioles
d’huile de hasch et des correspondances de bus. Plus tôt, entre
chien et loup, le bibliobus

laissant des traces d’huile sur l’asphalte
et frôlant les feuilles les plus basses des jeunes érables
j’ai flirté avec un jeune Jamaïcain, et ses trois

identités, ses boucles tombantes
mouillées et stylées, hélices noires
dans la lueur bleutée des bay-windows.

Et quelque chose en moi s’est formé ;
quelque chose à moi que je ne possédais pas, mais
auquel je tenais, comme ce lapin aux yeux roses,

que j’ai aimé sans raison et dont je n’ai rien reçu
en échange. Et alors ? Des façades
en briques rouges poussaient comme des champignons

dans des culs de sac sans trottoirs, des commerces encore
et encore, la monotonie, et les étages sinistres
des H.L.M. derrière le stade de base-ball

tout ça racontait une histoire bizarre, celle d’un lieu dont j’étais amoureuse
même si je voulais en sortir. Je travaillais comme
vendeuse, les week-ends, avec la conscience déjà

de moi-même, souveraine : les bancs de la bibliothèque recouverts
de moquette marron, les fêtes folles, mon jeune corps
s’exposant dans les centres commerciaux. C’était ici le centre

du monde, invraisemblablement, entre les vers intraduisibles
des lignes à haute tension, les faucons
figés au-dessus de vastes prairies, d’anciennes

fermes. Novembre comme une feuille de métal
soufflée sur Mimico, avec
des ordures et des déchets, j’aurais élevé

une colline jusqu’à la lune, devant Mississauga —
des sacs de chips, de l’alu froissé, des chariots
de supermarché recouverts d’un duvet de gel, l’écho

bouleversant des voix de femmes qui squattaient le lieu
arrivées ici depuis les cabanes délabrées du Sud des Balkans
via Budapest ; des Philippines, des Croates

avec un peu d’argent, venues ici pour en faire plus
et qui en faisaient, à dix ans, vêtues de tailleurs pantalons
de daim ou dos nus dans des robes légères, à l’aise

avec les adultes, curieuses, propres. Le fracas des
orages qui se répandaient partout et qui
transformaient les avenues en cours d’eau.

Les bus trop bas forcés de rebrousser chemin, direction Albion
mais qui se retrouvaient coincés dans un nuage de monoxyde
quelque part dans le trafic habituel…

c’était le centre du monde.
Si vous ressentez les choses autrement, par exemple qu’il s’agit d’un espace
négatif, je vous dis seulement : c’est un postulat

sans nécessité d’autre preuve que l’amour
que j’ai éprouvé. Je savais avant même de pouvoir en
parler — l’immense, l’abominable expansion de la banlieue

aux prises avec les turbulences des aéroports envahissant la campagne un
peu plus
chaque année, laissant le champ libre aux panneaux indicateurs, aux
artères, aux lotissements —
que c’était la vie comme on la vivait. Les framboises. L’odeur d’essence.

traduit par Denise Desautels,
Versschmuggel, Poesiefestival Berlin 2007