Anne Perrier
Heures (extraits)
Heures (extraits)
extrait de: Le livre d’Ophélie
J'appelle à moi le chant
Que le siècle blesse à mourir
Goutte à goutte je le recueille
Mais pour qui
Deuil et désir
J'erre parmi les noirs étangs
Èblouie
De si peu même du cri
Rauque de la grenouille
* * *
La poésie fruit défendu
Belladone mortelle
Dans la débordante
Mangeoire universelle
* * *
Nous sommes les derniers Indiens
Nous sommes les Papous
Les fous les poux
D'un monde antédiluvien
Un oiseau mort depuis longtemps
Chante pour une étoile éteinte
Et plein de grands papillons d'août
Le jour se pend
Sous les beaux térébinthes
* * *
Au fond des millénaires
C'est ici qu'ils vécurent moururent
Les yeux pleins de rêve
C'est ici qu'ils jouèrent mais d'une flûte
Si triste
Que notre cœur en fut à jamais
Transpercé
* * *
La nuit pourra venir
Souffler sur mes paupières
Le silence pourra tenir
En laisse tous mes airs
Mais pas avant
Que j'aie jeté aux quatre vents
Mon chant de mort
Et planté dans le front du temps
Mes banderilles d'or
* * *
C'était peut-être en rêve
Une pluie me tombait des yeux
Le cœur tremblant je descendais
Le chant de la rivière
Les âges me couvraient de leur feu
Et je passais légère
En des fonds somptueux
* * *
Quand je serai sous la mer
Compagne d'hippocampes et d'éternelles
Danses quand je serai
Dans les profonds jardins d'iris
Ne m'écrivez pas
Quelles questions sous tant de bleu
Ne se perdraient
Ne me demandez pas
Si j'exulte en ce lieu
Sur vos rivages ma réponse
Serait rejetée
* * *
Que peut contre la poésie tout ce fleuve de lave
Si dans le monde où nous sommes
Un chant fût-il éteint depuis longtemps
A un autre chant d'homme
Fût-il né dans mille ans
Correspond les oiseaux le savent
Et que peut contre les oiseaux
Transparents
L'hydre du temps
* * *
Bâtissez-moi un grand tombeau
Une haute fontaine
Je vous dis que rien n'est trop beau
Pour ton sommeil ô longue peine
De vivre que nulle eau
N'est assez pure pour atteindre
En moi le ciel profond
N'est assez fraîche pour éteindre
Ces soifs qui détruisent le corps
Ces feux qui brûleront
Les portes de la mort
* * *
J'avais reçu trois anneaux d'or
Le premier s'est noyé
Dans le cours du temps
Le deuxième une pie l'a volé
Pour son cou blanc
Le troisième cœur d'ellébore
Garde un secret
Qu'un seul regard en l'effleurant
Briserait
* * *
Si j'étais le berger
De mes pensées de mes rêves obscurs
Je passerais le mur
Des nuits
J’irais conduire mon léger
Troupeau jusqu'à l'inaccessible source
Et nous boirions au long été
Perdu toute peur endormie à mes pieds
Chienne douce
* * *
Moi l'envolée
J'ai perdu dans les airs la trace des oiseaux
Moi l'écoulée
En dormant j'ai perdu la voix des passeurs d'eau
Je suis le chant qui s'en va tout seul
Entre terre et ciel
* * *
Que je dorme statue
Pierre sauvage sous ton nom
Mycènes que mes veines tes rues
Mêlent leurs sangs de plomb
Ne serait-elle ta cruauté dorée
Plus douce à l'âme que ce temps damné
Chut écoutons les grillons heureux
Flûter l'amour
Et sur un air solaire les troupeaux laineux
Gagner la source où ronronne le jour
* * *
La beauté
Foulée aux pieds par ce siècle barbare
Avec ma sœur la lune
Qui peut les délivrer
Douleur douleur
Le cœur n'est plus
Qu'un cimetière d'astres éboules
* * *
L'espace est mon jardin
La mer l'habite
Tout entière avec ses vents lointains
Les planètes lui rendent visite
La vie la mort
Égales jouent à la marelle
Et moi captive libre j'erre au bord
De longs jours parallèles
* * *
ÉPITAPHE
Jardins de la douleur
Saignez loin de ma tombe
Ici tout n'est qu'ombre et splendeur
Et gorge de colombe
Elle dort Ophélie
Au fond des marbres verts
De l'or plein les pupilles
Et dans son cœur la mer