Jean-François Poupart
FAIRE DES ANGES SUR LA NEIGE
N’aie pas peur dors
je m’occupe de la mort dors
je te jure de ne pas tomber
d’arrêter le monde de te percer
n’aie pas peur dors
dessine tes peurs sur les murs de la caverne
respire l’imitation des fleurs sur ton corps enrubanné
dérive avec les continents des probabilités
enfonce-toi dans la Mer des Sargasses
invente des orties grimpants sans épines
plus personne ne va te piquer
ni les églantiers ni les maringouins ni l’herbe à puce
c’est ton premier jour et la mort te contemple
elle met sa langue dans ton cœur
noircie ton épine dorsale
accroche des manteaux sales dans ton cerveau
n’aie pas peur
je m’occupe de la mort dors
je jure de briser toutes les aiguilles
rejoins les grandes marées où les grand-mères tricotent
des bateaux de laine aux miraculés
sois léger comme un graffiti sur un monument célèbre
je te berce d’une seule main
tu disparais dans l’odeur du chlore
petite momie d’oiseau-mouche
tes yeux n’existent pas encore
tu sens la vanille qu’on trouve au milieu de l’océan
tu sens le ventre et le pain grillé
n’aie pas peur
je m’occupe de la mort
dans les moindres ruisseaux de bave
les herses infectées ta respiration lente
les machines à calculer
descends vers la petite plage verte recouverte de vitre
sur la rivière qui t’apprendra à tourner
ta langue pour embrasser
descends vers tout ce qui brille
les mouches à feu les crapets soleil
les dinosaures de plastique au fond de la piscine
l’insolence du muguet à travers les feuilles mortes
le blé d’Inde décoratif les scarabées d’or mais dors
n’aie pas peur
je m’occupe de la mort
et de toutes les piqûres
je te jure de ne pas tomber
d’arracher à la pioche les nids de guêpes
sous ton carré de sable
où tu verras l’avenir entre les doigts d’une fille
qui joue à disparaître et à t’ensevelir
de mots écrits pour un autre
accroche-toi aux saules
il faut toujours pleurer pour attirer les oiseaux
les abeilles ne piquent pas
c’est le soleil qui passe à travers elles
les ratons laveurs et leurs gants de chirurgien
le bec des pintades en costume de gala
les breloques en fer blanc dans le cou des fakirs
les canines du tigre surpris par la pluie
ça ne piquent pas
n’aie pas peur dors
je m’occupe de la mort
et des radiographies pluvieuses
où de petites étoiles apparaissent en plein jour
la multiplication des pains est un miracle facile
l’étoile de Sirius s’appelle la petite chienne
elle se couche en même temps que le soir
elle penche la tête des champs d’avoine
et accélère le rythme cardiaque des bébés qu’on observe
n’aie pas peur
je m’occupe de la grande chienne
elle te renifle mais ne mordra pas
et quand tu seras très vieux
tu ouvriras un livre
pour compter l’âge des arbres
la couleur des libellules dans les sapins bleus
l’érosion des étoiles à la fin de l’hiver
on te mettra en dormance à la saison morte
avec des cendres aux pieds
je serai dans la nature morte
pour te protéger des piqûres des soirs de mars
tu pourras t’envoler dans l’immense bouche de ta mère
et cracher sur la mort sur mes épaules