Lisette Lombé
BURN-OUT
Entendez, soeurs travailleuses ! Entendez, frères travailleurs !
L'heure de la révolte des pelages rampants gronde !
Plus jamais, je ne laisserai un employeur me traiter d'éponge ! Une éponge, c'est un morceau de foie ivrogné de souffrances ; ce sont six lettres détrempées et malsonnantes qui bavent sur les dentelles de mon métal croquant.
Plus jamais, je ne laisserai une petite cheffe dénigrer mes atours de poétesse, m'évaluer d'un regard borgne tapi dans sa volaille et glousser , dans ses entrefilets, à la fonte de mon estime.
C'est comme ça ! Depuis ce matin chacun de mes gestes a pris une tournure vitale !
Vital que je me barre au plus vite de ce bureau ! Vital que je me débarrasse de ce costume étriqué, de cette collerette bouffante, bluffante, étouffante de salariée modèle ! Vital que je cesse de mensonger, de m'irrespecter, de m'épouvantailler en vain ! Je veux redevenir moi ! Je ne veux pas crever en derviche mécanique, clouée à une danse de fourmis !
Je veux redevenir moi ! Souffle, sève, rebond, corps libre. Comme avant !
Avant l'aigreur, avant la torpeur. Avant la première machine à écrire confisquée par des parents sous prétexte de textes jugés trop déplacés. Avant les notes de l'instituteur, les lectures imposées, l'ennui… Ce terrible ennui et ces chemins bordés de normes et cette timidité maladive et cette angoisse de la page blanche qui ne désempliront plus durant d'interminables, inextricables années.
Je veux redevenir moi ! Assumer pleinement mon goût pour les peaux citoyennes, pour les sexes politiques et pour la nuit !
La nuit. Son tranchant attrait. Son infatigable fugacité. La nuit. Ses arpenteurs de chairs alcoolisées qui trépignent dans l'échancrure de ma retenue. La nuit et ma vie morne, de salariée modèle, escortée jusqu'à cette scène, à l'orée de la plus nue désinhibition.
Je veux redevenir moi ! Parce que moi, c'est nous !
Redevenir moi ! Redevenir nous !