Ce n’est pas tout géant
qui a le temps et l’envie
de porter des nains. Et pourtant
les nains trouvent le moyen de porter
des géants, morceau par morceau : voici
un nain qui supporte le foie d’un géant,
et celui-ci s’écrie furieux –
mais tu me fiches les foies !
Et de mettre illico le nain sur son épaule
pour qu’il ne l’embête plus. Voici un nain
qui soutient les poumons et gêne ainsi
la respiration et l’inspiration du géant. Alors
ce dernier le crache et l’installe sur son épaule.
Voici un autre nain qui, mimant un atlante,
supporte le coeur du géant, en murmurant :
ce qui compte avant tout c’est le ventricule,
alors le géant écoeuré tire le nain de son coeur
et se le met aussi sur les épaules.
D’autres nains supportent les prunelles
et mordillent le ciel qui s’y reflète,
ou bien rampent dans l’oreille du géant
pour y voler le bruit de la mer,
d’autres se faufilent sous sa langue
pour le faire changer de langage,
ou bien se mettent en équipe
pour réaménager l’encéphale du géant
et faire s’entrechoquer les deux hémisphères.
Les voici enfin tous entassés sur ses épaules
qu’ils tapotent avec condescendance – les nains du coeur,
les nains de la pensée, les nains du langage
et tous les nains de l’esprit. On en a
le coeur et l’esprit tout retournés
à les voir chanter et danser, suspendus
aux épaules du géant. Mais bientôt
voici que tu te prends toi-même à danser
aux sons des nains qui se prennent pour des géants.