Jean-Michel Maulpoix
Terminal 2 C
Terminal 2 C
Souvenir, souvenir, que me veux-tu?
La voix de Verlaine balbutie au terminal 2 C de l’aéroport de Roissy. Peu
de gens, peu de bruit. Ici s’achève un monde. Gris très chic, faux air de
carlingue. Juste des fauteuils où attendre, un livre entre les mains. Déjà le
silence, le suspens du ciel. Aux lèvres, une vague chanson lyrique, conjurant le
vertige : souvenir de vies en allées et de voix chères qui se sont tues.
Entre ces parois de verre et de métal que ne franchissent pas les saisons,
je relis des poèmes qui parlent de la pluie. J’aime qu’un voyage commence
ainsi, dans l’oisiveté et le détachement. Avec un livre, une plume et un carnet.
Cueillant des phrases au vol, des images, des paroles perdues. Une
espèce de crainte ou de fièvre tremblant au bout des doigts. À la main, un
léger bagage : l’amour, je voudrais bien qu’on ne m’en parlât plus.
***
Sur les pistes d’envol, l’espace paraît attendre. Obstinément, le ciel refuse de
se poser. Des remorqueurs très plats, équipés de grosses roues, tirent derrière
eux des baleines blanches, échouées sur le tarmac noir. Le nez épaté, l’air
pataud, les 747 font le plein d’essence autour de l’aquarium.
Quelque chose se prépare. Chacun rêve d’un envol, même la marchande de
sandwichs, au petit chapeau bleu, aux jambes de majorette. Derrière de larges
vitres, va sonner l’heure d’une autre vie. No man’s time : on regarde la forme
de l’air et la couleur du temps... En vérité, c’est dans le cœur que ça se passe.
Trois notes de musique donnent le la, une voix chante dans un haut-parleur, la
machine avale mon billet, une jeune femme distinguée me sourit poliment.
C’en est fait, je m’embarque : cette vie est une succession de guichets.