François Emmanuel
Portement de ma mère (XI) [La plus proche en ton coeur, la plus lointaine]
Portement de ma mère (XI) [La plus proche en ton coeur, la plus lointaine]
XI
La plus proche en ton coeur, la plus lointaine, celle qui t’avait perdue, celle qui avait dormi dans la même chambre, celle qui t’avait servie pendant trente ans et dont le deuil de toi ne finira jamais, celui qui fut des derniers moments, celle qui fut du premier âge, tout ce peuple que rassemble le souvenir de toi, et qui lentement processionne, serre des mains dans le portique de l’église, je pense parfois que nous sommes faits de la chair des autres, je pense que nous mourons chaque jour avec la mort des autres, et je revois dans cette pénombre bleue le ballet fatigué des corps, la lente impression des visages les uns sur les autres, et ces lèvres qui tremblent, ces regards qui chancèlent, j’entends la litanie des formules, marmonnées, obsédantes, comme de vulgaires mots de passage, le soleil fait vibrer les arêtes de pierre, et par dessus cette lente foultitude je crois voir apparaître celle en toi qui se lève, s’éploie en pleine majesté, irradie doucement, dépose son sourire