Jacques Darras
Chimay
Chimay
Qu'est-ce qui nous fait tellement aimer une frontière ?
Pourquoi ce tremblement au moment de la traverser ?
Comme lorsque vient le moment de conclure l'acte amoureux.
Comme lorsqu'on refoule l'air au fond de la poitrine pour laisser
venir à soi l'émotion des deux corps.
Comme lorsqu'on s'éloigne courtoisement pour permettre aux :
chairs de débattre.
De marquer leur territoire animal.
Comme s'il y avait terreur dans territoire.
Comme s'il y avait terreur dans le mot terre.
Arrive le moment de l'entre-deux.
Curieusement s'opèrent tout ensemble trêve combat.
Curieusement alors les deux amants cessent chacun de
s'appartenir.
Chacun l'un à l'autre révélés.
Il y a quelque chose de semblable dans le passage d'une
frontière.
L'histoire de la terre est histoire d'amour.
L'histoire de l'amour que la terre a pour elle-même.
Qu'on nomme géographie.
L'histoire de tout amour véritable est histoire de crainte en effet.
Tout amour véritable est crainte de l'amour.
Tremblement de crainte que l'amour éprouve au moment décisif.
Au moment d'abandonner la terre de son propre corps.
Au moment de la plus grande maîtrise du plus grand abandon.
Nous n'avons d'autre crainte en vérité que celle de l'amour.
Que de savoir où passe la frontière de l'amour.
Où passent les lignes amoureuses entre femmes hommes.
Que de savoir où les lignes entre pays doivent être tracées.
Notre histoire notre incapacité à nous maintenir dans l'entre-deux.
Notre histoire une histoire d'amour incertaine.
Nous craignons depuis toujours de ne pas être à la latitude de
l'amour.