Guy Goffette
Psaume pour le temps qui me dure d’être sans toi 1 – 5
1
Le jour est si fragile à la corne du bois
que je ne sais plus où ni comment ce matin
poser mes yeux, ma voix, poser ce corps d’argile
si drôlement qui craque à la croisée des ombres.
J’ai peur soudain, oui, peur de n’être que cela :
une poignée de terre qu’un souffle obscur à l’aube
tient dans sa paume, et qu’il ne s’épuise d’un coup
et me laisse tomber dans la poussière du temps
comme ces fruits qu’aucune bouche n’a touchés
et qui roulent sans fin dans la nuit des famines.
Seigneur, si vous êtes ce souffle obscur et si
fragile à la corne du bois, et si je suis
ce corps, resserrez votre paume, resserrez-la.
2
Hier qui fut un jour aussi et qui n‘est plus
qu’un bras mort de rivière où la vie a passé
ne laissant derrière elle et parmi les cailloux
qu’un peu de boue, de cendre : paroles en l’air
à présent retombées, mais qui peut-être gardent
une dent contre nous et nous attendent là
où, seuls, nus, désarmés, plus fragiles qu’une aube,
nous serons cette chair et le sang du couteau.
Ô vous qui ployez le roseau dans la tempête
et redressez l’étang, souvenez-vous du frêle
pêcheur d’eau, de ce Midas enfant qui criait
contre l’insupportable beauté, criait : je
t’aime, dans la gueule suffoquée des tritons.
3
Souvenez-vous de lui à présent qu’il dérive,
pauvre marin qui prend la terre et qui se noie
dans une flaque de nuit, les yeux d’une sirène
de comptoir, une chanson qui n’en finit pas
de finir. Souvenez-vous de lui, c’est moi, c’est
toi, c’est nous, personne, quand l’amour qu’on croyait
d’éternelle jeunesse n’est plus qu’une lampe
qui flanche, et le cœur tout à coup comme une barque
au beau milieu d’un carré d’herbes et de vent craque.
Il crie Seigneur Seigneur, c’est un enfant perdu
dans la houle des collines qui s’en vont braire
ailleurs, tandis qu’il cherche le nom de sa maison
et ses yeux dans ses poches comme un voleur de larme
4
Maintenant que la brume est levée, maintenant
que la terre est à quai, prête au grand déballage
du monde, cette vieille et toujours vive histoire
de l’Eden englouti qu’une colombe rapporte
en son bec, maintenant Seigneur, vous n’êtes plus,
dans le concert des bêtes qui font sauter hop
les collines à la corde de l’horizon,
qu’une note égarée dans la gamme des verts,
une note à peine, mais qui dure, qui dure,
tandis que nous passons, ô mortels affolés
d’être vifs encor dans l’herbe du temps et si
sourds déjà, avec l’âme plus déboutonnée
qu’un champ livré au lent pillage des corbeaux.
5
Et nous allons ainsi passant et repassant
nos yeux, nos voix, nos cœurs, comme une pierre à faux
sur le fil des saisons, l’arête des toits , le
tranchet des miroirs et des livres, aiguisant
le silence qui nous tient debout, parasol
dans le jardin d’hiver, nous qui voulions partir
et rester en même temps à cause des corps
aimés, de leur chaleur et des raisons qu’ils eurent
de nous laisser leurs larmes en partage, seuls
à crier Seigneur Seigneur tout en maudissant
le feu de nos paroles et ce désir d’aller
toujours plus loin de nous, pareil à ces enfants
qui incendient la sapinière de Noël.