François Emmanuel
Portement de ma mère (I) [Ma mère tu descends dans l’abîme des morts]
Portement de ma mère (I) [Ma mère tu descends dans l’abîme des morts]
I
Ma mère tu descends dans l’abîme des morts, trois saisons se sont passées, tout ce temps de feuilles fondues à la terre, détrempées, gelées, émiettées, percées des jeunes fleurs de mars, maintenant je te regarde, chancelante, insaisissable, fragile désormais comme sont les images, les taches au devant des yeux, ce soleil noir de ta silhouette qui hante les clartés pâles, les pénombres incertaines, et parfois les rêves, maintenant je reviens vers toi, j’ose m’approcher de la maladie de ton corps, lorsqu’envahi peu à peu, refermé sur sa douleur, il perdait souffle jour après jour dans la chambre d’agonie où parfois nous te laissions seule, ce ravage longtemps ne permit aucun mot, les mots ne venaient plus aux lèvres, si j’ai dit le chagrin, la stupeur, je demeurais dans l’étrangeté sonore de ces mots impénétrables, puis je détournais les yeux vers la route qui monte, un jour j’ai posé là mon bagage lourd, jamais ouvert, et j’ai pleuré à gorge nouée dans l’oreiller mouillé de l’enfance, mais ce n’était que secousses, ou pans de ténèbres qui tombent, maintenant je reviens vers toi et je te regarde