Paul-Marie Lapointe
GRAVITATIONS
le corps se divise pour le plaisir
et la satisfaction
ainsi est cette âme
les objets se convoitent
les uns les autres
ainsi le corps se tend
il est l’arc de l’indienne
sa plus tendre peau
le tam-tam le plus sonore
nous écoutons passer les ancêtres sous la terre
leurs attelages
et leurs convois de plumes
(guerriers occis, ossements d’une faim sans maïs, la
neige pousse, blanche comme un peuple, saisons
arquebuse invasion sans terre)
artifices
nous saluons la tristesse des deux mains
aussi fort que porte le soleil
il est noir il a soif
sa délicatesse est explosive
il réchauffe une planète aux cratères amers
comme des bouches
et délicats comme la fonte des neiges
les visages s’allument
leur cire brûlera toute la nuit
ainsi la ferveur
terre pelée où l’insulte est fleur et lac
*
je dormais dans le blé
les minéraux s’agitaient tendrement
au nord
les lemmings contentaient savamment la mer
sans leur tristesse la disparition des espèces avait la
minceur d’un suicide tout collectif soit-il
*
la forme de l’oraison nous réunit dans les îles
là nous aimerons les soleils
quelle mer aussi chaude aussi sauvage que
ton corps!
nous l’aimerons
adversaires de la mort
tu dormiras dans mon épaule population
là que le chant s’éraille
et le gémissement
nous posséderons les travaux
le cœur s’émaille dans l’émoi
ô végétation ô lumière
fécondation des espèces
il s’agissait d’une lune où s’enracinaient des délires et
des corps sans quoi le mouvement du silence
n’entourait plus ses astres
ingrate constellation
*
là j’immobilise une terre quelconque
ses hommes de peine l’engrais sans langue
l’épuisement des rivières
l’érection monumentale des villages
un glas y sonne
perpétuel et jaune
à la façon des
tournesols
*
je suis l’angoisse
le noir et le poli le rose et le coton l’enfant qui
sourd de la cuisse à la fin des années
devant lui s’étend l’immense terre
(le seigneur lui-même n’a point commis ce crime qui
de la poitrine tira sa fille et la fit m’aimer)
je suis l’angoisse
car la parole s’évade
entre les membres passe le vent
entre les pierres les larmes et les cris
ou simplement le dessein d’étreindre la mort
je suis l’angoisse
je fabrique mes villes
et mes moissons
veillez aluminium et nucléaire
sur moi sur nous
*
ainsi
nous nous fîmes ennemi des parallèles
été de proie
saison maléfique et d’une clarté funeste
l’obscénité prenait corps et âme
favorable au silence
été de proie
en elle-même tournait la mer
rebrassant ses poissons ses cargos
le ciel allait fondre griffes ouvertes
en piqué sur les filles sur les villes
les forêts s’abandonner au pillage
il n’était question que d’animaux et de feu
été de proie
quand s’allume le brasier des récoltes
quand s’agitent les minéraux
quand l’eau quitte la mer
*
nous nous fîmes délégué du silence
à regarder de façon perverse les aurores et les couchers,
aussi loin que porte le message de la ligne
inter-mondes, comme des jambes les plus
délicieuses
et l’éternel
nous le saluâmes