Jean Portante
extrait de POINT DE DÉPART
extrait de POINT DE DÉPART
SI J'AI TIRÉ LE VERROU c'est moins pour
t'empêcher de partir que pour éviter
que n'entre chez nous le fantôme du cerf
qui depuis longtemps fait les cent pas
devant notre porte il ne se cache
déjà plus derrière un tronc d'arbre
ou un muret il n'a même plus peur
comme avant de la lumière du jour
il est désormais la sentinelle entre
toi et moi et il délimite notre espace
en urinant sur le trottoir
COMMENT JE SAIS QUE LE MONDE est rond
c'est le judas de la porte d'entrée qui
me l'a dit et il m'a dit aussi mais cela
je ne le lui avais pas demandé que la rondeur
est le châtiment réservé à qui pose
ses lèvres sur les joues froides de ceux
qui partent et en partant creusent
des trous dans l'obscurité tout autour
parce que ce qui s'en va et n'est
déjà plus ici n'en est pas forcément
ailleurs et cela autant qu'il m'en souvienne
fait également partie de la sphéricité
CETTE AUTOROUTE QUI EN MOI goudronne
l'envie de rester ouvre comme une fermeture
à glissière la plaie que hier soir j'ai ramenée
à la maison mais ce matin tu peux me le dire
qui es-tu pour parler de couteaux à ranger ou
de chemins à rebrousser non ne réponds pas tout
de suite parle-moi d'abord du jardin derrière
la maison et du départ que tu y as enterré
COMBIEN DE LITRES D'INNOCENCE peut-on verser
dans un bassin celui-ci par exemple que
tu vois sur la photo il y avait de jeunes
femmes qui traversaient de bout en bout le
village pour venir y laver leur linge elles
longeaient même les vergers et les vignobles
et attiraient sur elles les regards des mangeurs
de fruits d'autres venaient simplement y
plonger leurs mains après avoir écrit des
lettres à des maris partis si loin et quand
l'eau s'emparait de leur chair c'était comme
si elles faisaient l'amour avec l'océan atlantique