Pierre Guéry
En quel pays étrange (récit - extrait)
En quel pays étrange es-tu donc descendu, pour
mourir à toi-même en baisant sa frontière ?
A quelle vacance insue as tu voué ton être, à quels
pourtours du vide ?
En quelle église aurais tu pu prier pour atteindre
l’esprit que ton ouïe refusait ?
A quels enfants aurais tu pu sourire pour leur dire en
avant, c’est ta vie qui sourit ?
A quels tristes oiseaux ton œil égaré a t’il offert l’
envol ?
Vers des contrées de nuit, des terres arides où ton cœur affolé piochait son sang dans la pierre ; vers des landes opaques, des plaines béantes où les pluies de ton âme s’effondraient par à-coups ; des places désertes où des flaques d’eaux mortes tendaient à ta face des miroirs embués, images tavelées de tes genoux errant dans des souffles fétides où l’air pur te manquait, où ton absence à toi-même t’infligeait des vertiges de mémoire grimoire, que tu grattais que tu fouillais, espérant déterrer quelques rites anciens qui t’auraient rassuré, te ramenant un ailleurs d’avant dépossession, te soutenant d’une vague forte et pure comme le temps qui t’aurait gardé du naufrage, aurait roulé ton corps vers une grève douce où des cailloux salés t’auraient rendu salive, soif et faim de mordre à pleine langue quelques mots vrais et sentis, bulles pleines et claires à la surface d’une allée sans repères, d’un boyau vide qui n’était pas refuge mais spirale de hâte au cœur d’une forêt aux arbres maigres et sans sève, sans clairière pour faire halte dans cette
fuite
De ta dissolution -ton désir sans objet ; des guenilles d’un amour que tu portais à l’inconnu et qui pendaient menaçantes à des branches cassées, s’enroulant à tes gestes quand tu tentais d’
avancer
Ereinté mains debout, te ruant vers les ombres de ta culture inutile, désamarrée et sans rime, projetée hors de son ordre factice qui te faisait tenir, te murmurant l’agonie d’elle-même, sifflant à ton oreille tout le mensonge perfide où tu t’étais complu, promenant sous tes yeux les vieux lambeaux délavés de tes croyances acquises, toute la masse des chairs connues tâtonnant leurs dérives ; ta maison en fumée derrière la colline ; le stérile labour de tes champs infectés ; le sol meuble et farci de fondations que tu avais pensé bonnes ; la grotte secrète où tu te reposais enfant, rêvant à un futur luisant de joies et de feux ; les petites conques marines qui embrassaient tes côtes et réduisaient une distance entre ta peau et l’
intérieur
Révulsé par l’ordure, gagné par les plaies, suffocant sous le bâillon de ce que tu savais sans le dire, de ce qui pouvait se parler, de ce qui ne se pouvait pas ; d’un respire coupé te séparant de tes frères par un ruisseau enfoui dont le chant te sifflait que des silhouettes ennemies rôdaient autour de tes sœurs cédant à l’hypnose, à l’illusion d’une parole chaude et d’un habile déguisement de soie ouvrant un piège caressant mais déchirant toute issue, à rebours ou par-devers, pour un voyage sur place où la vérité dite aurait été confuse, immobile, ramenant tout aux ragots qui flottent en débris dans la baie de ta vie, si près d’un port qui s’offre et de ses souples attaches, si près de toi tout seul et de tes blancs marqués, tes soupçons effacés et ta confiance trompée envers les aînés imposant à leur insu le
silence