Hélène Monette
TU NE TRAVAILLES PAS DANS UNE MINE
Tu ne travailles pas dans une mine
tu marches dans les rues
c’est n’importe où
tu reviens dans ta cage
tu te mouches
c’est noir
tu te dis que même l’air
manque de sympathie pour toi
mais c’est affreux de penser ça
car les femmes, tes sœurs
et tous tes frères
quand ils reviennent lourdement
dans leur propre sueur, dans la propreté de leurs demeures
tu sais bien qu’ils se mouchent
autant qu’ils respirent
alors tout devient encore plus noir
mais tu te dis, on ne sait jamais
et s’ils ne respiraient pas
ces légions de courageux
sans mouchoirs
qui arpentent la terre ici-bas
en pleine adoration ?
s’il n’y a plus d’air pour personne
peut-être ont-ils appris à se mentir
autant qu’ils ne respirent pas ?
tu ne travailles ni dans un bureau
ni dans un marché aux puces
alors tu ne sais rien
de cette vie-là
et tu te mouches au matin
c’est noir
et Kafka te manque
comme un bon copain
rassurant
tu te remets en route
croyant apercevoir Pasolini au coin de la rue
pas du tout vieilli
mais le gamin qui est là, non, ce n’est pas lui
le gamin qui se retourne vers toi
a les yeux clairs d’Elsa
mais il ne parle pas
il est comme toi, il ne connaît pas l’histoire
il ne dira rien
ni en anglais, ni en italien
il te sourira
et tu fermeras les yeux un moment
quand tu les ouvriras
il n’y aura plus personne ici
plus rien au coin de ta vie
aucun oiseau dans le ciel
que des livres
dans ton sac
une bouteille d’eau et des mouchoirs