Gioia Kayaga
Grande
J’ai toujours su que devenir grand passait par le meurtre d’un
plus petit. Alors j’ai enfumé un enfant, patiemment pendant
la nuit, pour éviter d’entendre ses cris.
J’ai anesthésié ses sens mais pas au champagne. De nos jours
les gamins se calment à l’alcool sale, aux cendres noires et
aux poussières d’étoiles.
J’ai étouffé l’innocence, calmement, ça m’a pris du temps.
Une voix de petite fille qui crie en dedans sans arrêt, ça irrite,
ça peut faire mal à force. Ça se met à l’envers ; ça se renverse
puis ça retrouve jamais l’endroit ; et ça a toujours faim, ça
rêve trop grand, ça se déçoit, forcément. Ça sert à rien.
J’ai noyé la môme, doucement, engloutie sous une tonne de
drames, des litres de larmes, combien d’amants ? Victime
consentante, au plus offrant vendue dans l’heure. J’ai dilué
chaleur et charmes, animale, sans pudeur, facile, sans valeur
puisque c’est ça être femme, être libre.
J’étais prête à payer le prix.
Je me suis faite bourreau d’enfant, j’ai violé une petite fille,
torturé une gamine. Pour éviter que le monde s’en charge, j’ai
fait le travail à sa place.
Je me suis donnée des coups toute seule pour que ça fasse
moins mal quand ça arriverait d’ailleurs. Du loup, j’ai visité
l’antre tranquillement, sans qu’on m’y pousse. Et j’ai bien
ouvert la bouche quand j’ai vu venir le macadam en face. J’ai
d’abord fait saigner mes gencives, et le reste a suivi. Je me
suis égratignée toute seule, comme une grande. J’ai toujours
su que devenir femme passait par le meurtre d’une petite fille.