Déclaration des solitudes universelles

          Je suis seul, semble dire l’objet, donc pris dans
          une nécessité contre laquelle vous ne pouvez
          rien. Si je ne suis que ce que je suis, je suis indestructible.
          Étant ce que je suis, et sans réserve,
          ma solitude connaît la vôtre.
          Jean Genet


ce monde est un précipice de sanglots
sous une injustice d’étoiles
alors soyons seuls et universels
aussi égarés qu’un lampadaire
au bout d’une impasse perdue
où viennent se brûler quelques bestioles
grégaires crédules farineuses
et grillons l’air qui nous reste
hors de toutes les stupides demandes
les exigences ridicules
les prétentions asservissantes
soyons inutilement beaux
extragalactiques
loin de toute ambition solaire
ou dépendance lunaire
bref
ne répondons plus de rien

ou alors
soyons aussi imparablement exacts
que la dérision voulant nous commander
en lui répliquant par la gratuité
des sans-but-ni-cause
pour vraiment être
seuls et universels
poivrement impénitents
innégociables irréductibles
salement pas de ce monde
terriblement seuls
inexorablement universels
nous refusons les rancœurs
nous réfutons les culpabilisations
nous récusons même nos regrets
de n’avoir pas su vous obéir

ce monde ça fait si longtemps
que ça ne s’améliore pas
que nous ne nous sentons plus
obligés de le supporter
nous sommes sans blason ni raison
définitivement extradés de vos couardises
nous n’avons plus le courage de vos abdications
nous avons l’impolitesse de l’isolement
qui dit oui à tout sauf à vous
experts en vétilles bétonnées
vous les filandreux de l’inavalable
nous avons tout donné
et comme ce n’était pas suffisant
nous sommes morts à vos suffisances
pour mieux ne pas être
de votre nombrosité locale
réduite à son bocal hermétique
nous nous sommes distillés ailleurs
dispersés en solitudes universelles
sans pays ni planètes

nous voici donc errants
air en l’air autre que le vôtre
nous sommes indomesticables
aussi sauvages que les bêtes intelligentes
qui préfèrent mourir loin de vous
et dont vous ne pourrez faire
des trophées ou des atrophiées
mais nous ne sommes pas morts
nous sommes seuls et universels
en paix et sans plus
sans plaies et sans moins
sans pureté
et avec la pauvreté
dont vous vous rejetez

la nuit nous ne dormons plus
nous n’obéissons plus à votre jour
nous sommes les égalisateurs
de l’aube et du crépuscule
les semeurs de paradoxes
les glaneurs de multiples riens
personne ne nous reconnaît
parce que nous sommes
seuls et universels
car pour mieux voir le jour
il vaut mieux ne pas rater
sa nuit

© José Acquelin
De: Le zéro est l’origine de l’au-delà.
Éditions Les Herbes rouges, 2011
Producción de Audio: Union des écrivains et des écrivaines québécois, 2013

Erklärung der Universellen Einsamkeiten

          Je suis seul, semble dire l’objet, donc pris dans
          une nécessité contre laquelle vous ne pouvez
          rien. Si je ne suis que ce que je suis, je suis indestructible.
          Étant ce que je suis, et sans réserve,
          ma solitude connaît la vôtre.
          Jean Genet


diese Welt ist ein Abgrund des Schluchzens
unter einer Ungerechtigkeit der Sterne
seien wir also allein und universell
so vom Weg abgekommen wie eine Laterne
am Ende einer verlorenen Sackgasse
wo sich ein paar Insekten verbrennen lassen
gesellig, leichtgläubig, mehlig
verbrennen wir die Luft, die uns bleibt
unbedacht aller dummen Anfragen
lächerlichen Anforderungen
unterwerfenden Ansprüchen
seien wir unnütz schön
außergalaktisch
weit entfernt von jedem solaren Ehrgeiz
oder jeder lunaren Abhängigkeit
kurz
antworten wir nichts mehr

oder dann
seien wir so unabwehrbar genau
wie der Spott, der uns befehlen will
indem wir ihm antworten mit der Willkürlichkeit
der Ziellosen-Grundlosen
um wirklich allein
und universell zu sein
beißend unverbesserlich
unverhandelbar unbeugsam
schlecht weg nicht von dieser Welt
furchtbar allein
unerbittlich universell
wir verweigern den Groll
wir widerlegen die Schuldzuweisungen
wir lehnen sogar unser Bedauern ab
dass wir euch nicht zu gehorchen wussten

diese Welt wird schon so lange
nicht besser
dass wir uns nicht mehr verpflichtet fühlen
sie auszuhalten
wir sind ohne Wappen, ohne Grund
endgültig ausgeliefert durch eure Feigheit
wir haben nicht mehr den Mut eurer Abdankungen
wir haben die Unhöflichkeit der Einsamkeit
die zu allem ja sagt, nur zu euch nicht
Experten für betonierte Lappalien
ihr, die Faserigen des Unverschluckbaren
wir haben alles gegeben
und als wäre das nicht ausreichend
sind wir gestorben an euren Selbstgefälligkeiten
um besser nicht zu
eurer lokalen Anzahl zu gehören
reduziert auf ihr hermetisch geschlossenes Glas
wir haben uns anderswo destilliert
verstreut in universellen Einsamkeiten
ohne Land, ohne Planeten

so irren wir also herum
Luft in anderer Luft als der euren
wir sind unbezähmbar
so wild wie die klugen Tiere
die es vorziehen, weit weg von euch zu sterben
und aus denen ihr weder
Trophäen noch Verkümmertes machen könnt
aber wir sind nicht tot
wir sind allein und universell
in Frieden und ohne mehr
ohne Wunden und ohne weniger
ohne Reinheit
und mit der Armut
von der ihr euch ausschließt

nachts schlafen wir nicht mehr
wir gehorchen eurem Tag nicht mehr
wir sind die Ausgleicher
des Morgen- und Abendrots
die Säer von Paradoxen
die Sammler der vielen Nichts
niemand erkennt uns
denn wir sind
allein und universell
denn um den Tag besser zu sehen
ist es besser seine Nacht nicht zu verpassen

Übersetzt aus dem Französischen von Hildegard Grüter und Christa Japel