Sonzai

© Kazuko Shiraishi
De: Moeru meisô
Tokyo: Seichisha , 1986
Producción de Audio: 2001 M. Mechner, literaturWERKstatt berlin

Grand-mère Winnetou

Une grand-mère est morte dans un village,
cinglée et ne s'appartenant plus.
Nous ne savons pas, nous savons à peine qui
la terre cette fois encore veut engloutir.
Ces anciens morts laissent un trop vaste choix.

Qui renvoyons-nous à la case départ?
Cette petite demoiselle à croquer
- elle qui savait déjà danser le charleston,
mais encore remplie d'hivers d'enfance?
Celle de trente ans, fière de ses filles,
sur une plage hyperchic de la mer du Nord
tandis qu'ailleurs sévissait la guerre?
Ou celle qui, au moins déjà sexagénaire,
fonçait follement par les rues,
tapie dans une Chevrolet,
comme si elle avait des amants?

Jamais elles n'entreront ensemble dans un cercueil,
jamais toutes.

Même l'octogénaire doit partir maintenant,
celle dont on a pris à l'improviste une fille.
Elle était si médusée qu'elle oublia de sangloter
devant toute cette vie sortie de ses entrailles
et brutalement, impitoyablement mise en bière.
Et lorsque vinrent les larmes, bien trop tard,
elle les essuya à son caniche,
se mit à parler, sans s'arrêter,
et tint le coup pendant près de dix ans.
Elle trépignait d'impatience de pouvoir mourir,
lâchant des pets vigoureux, des heures dans le vent.
Êtes-vous d'accord qu'à présent nous l'enterrions?
Ce genre de mémé entre dedans comme du beurre.

Nostalgie, dites-vous, des nèfles: nostalgie.
Ce n'est pas ça, c'est seulement que,
balle renvoyée entre début et fin,
entre fin et début,
on atterrit toujours dans le filet.

Une grand-mère sera enterrée ici tout à l'heure.
Le sol du village vibre de chaleur.
Mais quelle photo commémorative?
A l`école, amoureuse, mariée ou vieille?
Celle de l'après-accouchement? Celle aux joues rouge sang?
On croira que mourir fait rougir.
Celle de son ultime lit?
Non: trop paisible pour la si remuante.
L'ultime est trop souvent toujours.
L'ultime est toujours trop long.

Pas de lit avec cierge, pas de joues rouge sang, pas de tête timbrée.
Non, alors mettez-y donc sa Chevrolet:
ça donnera du piment à son enterrement.

Ou bien voulons-nous à tout prix
l'ange qui devint une vieille mésange,
ce plumage gris, rigide d'une presque nonagénaire,
une Apache décharnée
ramassée dans une chemise de nuit
- les yeux hésitants, remplis de tous les horizons,
en attente des prairies éternelles.
Ici, où c'est à chaque fois maintenant,
nous devons rassembler, rien d'autre que rassembler.
Nous devons rassembler pour pouvoir oublier.

Une grand-mère est morte dans ce village.
Sénile et ne s'appartenant plus.
Les cloches sonnent, toutes les cloches sonnent
pour celle qui ne pouvait même plus piailler.
Allons, cloches de Deerlijk et Waregem,
de Vichte, d'Heestert et d'ailleurs,
allons, cloches, sonnez donc.
C'est l'été et les gens sont dans la rue.
La rue haute, la rue de l'étang,
tous veulent entendre assurément.
Procurez-lui marmelade, pain d'épices, amants
et laissez-la descendre au son de l'une ou l'autre fanfare
de soeur Euphrasie ou Soeur Sourire.
Et puis, dès que la terre s'écrase sur elle,
vous tous qui êtes là, vous qui existez,
allons, donnez-les-lui: vos applaudissements.

Une grand-mère est morte dans un village.
Elle était sénile et ne s'appartenait plus.
Elle appartenait au monde entier,
mais surtout à moi.

Tranlated by Marnix Vincent
copyright by Marnix Vincent