Lisette Lombé
OUBLIE !
Oublie ceux qui t'observent comme on observe une folle.
Oublie ceux qui ne comprennent pas ta danse.
Ceux qui aiment la musique des gitans mais ne souffrent pas les odeurs des gens.
Oublie ceux qui menacent ton tapis de leurs chaussures crasseuses.
Oublie le ciel, oublie les cieux.
Il n'y a rien pour toi là-haut.
Rien pour le repos. Rien pour le sommeil du juste.
Rien. Rien pour assourdir la litanie des souffrances.
Rien contre l'hémorragie du monde.
Sens la cheville que comprime encore le souvenir de la chaussure crasseuse.
Sens le pied qui prolonge la cheville.
La plante de pied, chaque orteil.
Sens la crasse entre les orteils, la crasse sous la semelle, la semelle sur le tapis.
Tapis. Bitume. Tapis. Brin d'herbe.
Et ce Dieu qui ne t'arrive pas à la cheville
Chaque fois
Chaque fois qu'une giclée de sperme splitsh splatsh sur la joue d'un môme.
Chaque fois qu'un ouragan arrache le toit d'une baraque pour le taper sur le toit
d'une autre baraque et planter une tôle ondulée dans la poitrine d'une femme.
Chaque fois que des plus jeunes que toi, très jeunes, très très jeunes tombent
comme des mouches.
Pour chaque fois que
Jeté par dessus bord.
Lancé dans les orties.
Rangé dans le placard.
Dieu ne t'arrive pas à la cheville.
Oublie le ciel, oublie les cieux.
Agenouillée, tu te sens mouche, ouragan dans la mouche. Sperme dans les orties.
Tu te sens toi.