Pierre Nepveu
Les grands livres ouverts.
Tant de mal pour revenir à soi,
tant de lampes allumées dans la nuit
sur les visages des enfants qui dorment
et au fond des tiroirs les tics-tacs
des mécaniques continuent de tourner,
les animaux de fer ou de plastique,
et aux rideaux le gyrophare
d'un chasse-neige et quand
tu te couches, les fantômes se couchent,
les mots de toutes occasions sortent
leurs griffes, sous le drap
tu sens d'autres draps plus rudes,
et le plancher tremble et l'eau
du robinet continue de couler,
toute la nuit, toute la vie
pour éviter le gel des points d'eau
depuis le fleuve à demi mort.
Au fond de la nuit les grands livres
sont restés ouverts, des pages
éblouissantes sont tournées contre le ciel,
des histoires tragiques restées en suspens
sur lesquelles ton visage penché
s'est reconnu sans tomber,
tu entends dans le matelas cogner
les trois coups menaçants,
tu roules vers le mur et puis
l'autre mur, dans l'intense
désir de flotter hors de tout,
d'échapper à ce remue-ménage
qui te rappelle au monde,
où brillent les fillettes de la nuit,
et les grands livres de vie et de mort
attendent que tu reviennes
les fermer.