3 نيسان 2003

© Fuad Rifka
From: Kahin al-Waqt
Audio production: Literaturwerkstatt Berlin 2008

DALMATIE, DALMATIE DE LUMIERE


Qui mieux que nous,élevés en ton jardin,éclos de la source froide du Karst,les pieds et les ailes dispersés sur les versants escarpés,foulés par les chèvres,et dans les entrailles des îles,connaît la nature et le sens de la nuit,le tourbillon ensorcelant de la mer et l’ivresse de l’herbe sèche ?

Qui plus que nous,lanceurs de vains filets,qui avons arraché les écailles des poissons,le poil du bétail,les cupules des glands et la fleur du genêt, sait ce que signifie  être soucieux  et à qui revient l’héritage ?

Qui comprend plus subtilement la peine de la pierre et la complainte des fours à chaux alors que nous montons dans le contrée sans nom et que nous nous couchons dans la maison chaulée aux carreaux brisés et aux lettres à sang chaud ?

Qui sait plus sur le feu et les incendies que nous qui allumions les monceaux de vers à soie lors des épidémies,les souches d’yeuse pour la veillée de Noël et les buissons de ronces l’hiver ?

Qui sent plus profondément le froid que nous,les hivernants,dans le vent du nord au lieu des places polies ?

Qui mieux que nous,les cueilleurs de fenouil sauvage et de câpres,d’acanthes et d’arbouses, de crételles et de caroubes,qui plus subtilement que le sculpteur du rosaire aux grains de ronces- avec l’herbe de Saint-Jean sèche et protectrice à la pointe d’une branche émondée- distingue les roses,les anges et les tiges au goût d’éternité et de divine présence ?

Que celui qui sent plus puissamment la beauté de notre lignée,qu’il lapide Radonja et Juraj, bâtisseurs de cathédrales aussi en tout petit. Qu’il précipite dans l’abîme nos ancêtres sans nom,s’il s’est donné plus de peine que nos pères qui cultivèrent la terre comme autant de petits écrins. Et qui, triant la terre maigre et avare,ont étendu leurs champs indigents,ont affermi leurs bords par des amas de pierre et des tertres,d’un soin égal.



Qui sait plus de la vie que nous qui avons planté chaque jour inlassablement la trace et la langue de la mer comme autant de couteaux dans notre cœur musclé et violacé au dessus duquel,telles les ailes d’un jeune faucon,veille une paire de mains pétrifiées dans la prière ?

Tel qui n’a avec les pommes de pin mené les batailles navales et n’a jeté obliquement le galet
plat en comptant ses ricochets sur la surface apaisée de nos âmes d’enfant et n’a plongé à la recherche de l’oreille de mer,tel n’a point l’ouïe ni la connaissance précieuse des grottes sous-marines où trônent les fées et les monstres,les poulpes aux multiples tentacules et les crabes herbus.

Tel qui n’a point ramé à rebours et n’a point porté son cœur éclaté sur la paume  dans la crique des premières amours et des naufrages inexplicables,tremblant sur la barque de Charon,tel ne connaît la mer et la mort dans la cape ondoyante de fils de Neptune.

Tel qui n’a point goûté au fromage baigné d’huile, dur à l’égal du marbre et assoiffé comme l’apogée de l’été,tel ne connaît la nostalgie du soleil ni le murmure d’argent des oliviers.

Le dragon de la Vidovgora à la puissante fidélité est le gardien du coffre votif dans lequel,lourde de siècles,fouettée par le vent et les vagues,brille et oppresse l’emblème du royaume :la couronne d’émeraude de Croatie avec les paroles secrètes de la consolation divine gravées en sa mandorle. Avec un fragment du bois de la Croix en son œil frontal. Couronne la plus fidèle au Christ. En elle bruissent les ailes de l’espace et sombrent les siècles. Là se meut la volonté cosmique de la patrie. Elle immobilise l’axe du commencement et de la peine et façonne en un corps astral la clameur des puissances et l’antienne des vagues.

O Dalmatie,noir écrin de notre destinée. De ta douce lumière, creuse nous la couche et la tombe,sur la grève parsemée d’étoiles, dépose les cadavres exténués des dauphins et confie les au repos éternel. Dans les sillons de la paume de Dieu,sème les grains de la mer et des montagnes du pays natal,afin que s’efface le tourment du rameur et que s’abandonne le cœur rompu.

Traduit par Borka Legras et Tomislav Rajic