Théodore Chasseriau, Intérieur de Harem (1856)

Il y a trois figures sur cette toile. L’une est sombre, lointaine, à peine
esquissée. Une autre est pâle et floue. La troisième concentre sur soi toute la
netteté du trait. C’est pour ce visage en beauté que la toile existe : il n’y est
pas déposé, il en sort comme d’un flot. Délicat, minutieux, il fait apparition. Fin
visage de femme langoureuse dans la pénombre du harem, émergeant parmi
les sofas et les soieries : voici une scène exotique bien stéréotypée… Mais le
corps même de cette sultane, dirait-on, n’est appuyé sur rien. Perdu dans la
couleur, il manque. Ne reste donc qu’une bouche, un nez, un œil, deux boucles
d’oreilles, une coiffure nouée : comme si le reste de la scène n’appartenait pas
tout à fait à la même époque, ni au même tableau. La peinture semble s’être
arrêtée en chemin, n’essayant plus de ressembler, de fixer ou de retenir
Etrangement, le bras droit de cette femme paraît interminable…
     En 1839, Chassériau avait présenté au Salon de Paris sa première oeuvre,
“Vénus Marine ”. Dix-sept ans plus tard, c’est encore cette même Naissance de
Vénus qu’il continue obstinément de peindre, en Daphné ou en Sultane. Mais
1856, qui est l’année de ce tableau-ci, est aussi celle de sa mort : le 10
octobre, à 11 heures, cette femme inachevée était là, sans doute, dissimulée
parmi la foule nombreuse, pour assister aux obsèques du peintre à l’Eglise
Notre-Dame-de-Lorette. Et c’était avec elle l’art moderne, en ce qu’il fait
sienne cette poétique de l’inachèvement, qui accompagnait à sa dernière
demeure, sous de lourdes tentures, le romantique disciple d’Ingres.

© Jean-Michel Maulpoix
From: unpublished
Audio production: Printemps des Poètes 2006

Théodore Chassériau, In einem Harem (1856)

Es sind drei Gestalten auf diesem Bild. Die eine ist dunkel, zurückgesetzt,
kaum angedeutet. Eine andere ist blaß und verschwommen. Die dritte
konzentriert die ganze Reinheit des Pinselstrichs auf sich. Wegen dieses
Gesichtes voller Schönheit gibt es das Bild: es ist nicht darin verzeichnet, es
steigt daraus empor wie aus einem Meer. Zart, sorgfältig, tritt es in
Erscheinung. Schönes Gesicht einer sehnsuchtsvollen Frau im Dämmerlicht
des Harems, das zwischen den Sofas und Seidenstoffen auftaucht: das ist eine
recht stereotype exotische Szenerie… Aber der Körper dieser Sultanin selbst
scheint auf nichts ruhen. In der Farbe untergetaucht, fehlt er. So bleiben nur
ein Mund, eine Nase, ein Auge, zwei Ohrringe, eine geknüpfte Frisur übrig: als
gehörte der Rest der Szenerie überhaupt nicht derselben Zeit, ja nicht einmal
demselben Bild an. Das Gemälde scheint unterwegs stehengeblieben zu sein,
offenbar versucht es nicht mehr zu ähneln, festzuhalten oder zu erinnern…
Seltsamerweise scheint der rechte Arm dieser Frau unendlich lang zu sein…Im
     Jahr 1839  hatte Chassériau im Pariser Salon sein erstes Werk, „Vénus
Marine“ präsentiert. Siebzehn  Jahre später ist es immer noch die gleiche
Naissance de Vénus, die er hartnäckig weitermalt als Daphne oder als
Sultanin. Aber 1856, das Jahr dieses Bildes, ist auch das Jahr seines Todes: Am
10. Oktober  um 11.00 war diese unvollendete Frau,  verborgen in der
zahlreichen Menschenmenge, zweifellos anwesend, um dem Begräbnis des
Malers in der Kirche Notre-Dame-de-Lorette beizuwohnen. Und mit ihr war es
die moderne Kunst damit, wie sie sich diese Poetik des Unabgeschlossenen zu
eigen machte, die den romantischen Schüler von Ingres unter schweren
Trauerbehängen zu seiner letzten Stätte geleitete.

Aus dem Französischen von Roland Erb

©Printemps des Poètes