Gioia Kayaga
Modesta
Modesta
Elles t'ont appelée « Modesta »,
Un prénom qui sonne comme un esclavage ;
une injonction à tenir sa place, à rester sage
Une toute première leçon qui fait déjà si mal :
les « nègres de maison » n'ont ni sexe, ni race,
depuis des siècles, les femmes aussi... asservissent les femmes
Modesta, comme on déchire une page négligeable ;
Ma fille : voici ta cage en héritage :
sois fragile, naïve et délicate
Modesta, comme on refuse de noircir une case ;
puisque les règles semblent immuables,
Un point final pour commencer une phrase.
Elles t'ont appelée Modesta,
Te préparant dès la naissance à baisser le regard
imaginant que tu ne laisserais pas de trace
Elles t’ont appelée Modesta,
Ils t’ont appelée Modesta
te voyant perdre la course avant même le top départ
éphémère comme des pas qui s'effacent
Ils t’ont appelée Modesta
Ils t’ont dit qu’une femme ça ne rêve pas trop grand:
Dans les salons du pouvoir et des messieurs importants,
ça apporte à boire et ça ferme la porte en sortant
Ils t’ont dit qu’une femme ça ne veut pas changer les choses,
ça se plie aux règles, aux lois qu’on lui impose,
ça ne se bat qu’avec les armes que l’homme lui propose
Ils t’ont dit qu’une femme ça s’plie en quatre pour sa famille,
ça se sacrifie, ça accumule la fatigue,
… et ça se console en faisant du shopping le samedi
Ils t’ont dit qu’une femme, ça sourit, ça rougit,
ça dit merci quand on lui fait un compliment pourri,
ça se contente de rapports où ce n’est jamais elle qui jouit
Ils t'ont appelée Modesta,
Te préparant dès la naissance à baisser le regard
imaginant que tu ne laisserais pas de trace
Ils t’ont appelée Modesta,
Elles t’ont appelée Modesta
te voyant perdre la course avant même le top départ
éphémère comme des pas qui s'effacent
Elles t’ont appelée Modesta
Sans consulter les oracles ; tu as éliminé chaque obstacle,
refusé d’être raisonnable, envoyé au diable leur morale ;
échangé les jupes des nonnes contre celles des gitanes
Sans même un Dieu à servir, tu es partie en Djihad
une liberté à conquérir : faire exploser leurs barricades !
Il a fallu se battre, apprendre à manier la poudre,
jusqu’à sacrifier parfois ceux qui enferment dans leurs tabous
Loin des dogmes, églises, politiques, gourous ;
loin des hommes qui te demandent de dire “toujours”,
loin des femmes sentinelles, jalouses,
tu es devenue souveraine : libre de tes choix, de tes amours
Elles t'ont appelée Modesta, mais tu n'es plus “Modesta”
Tu es à jamais immorale, immortelle,
Tu es indécente femme fatale et obscène
Tu es sensuelle, épicée, rebelle, libérée
Elles t'ont appelée Modesta, mais tu n'es plus “Modesta”
Tu n’es plus “Modesta”, tu es amoureuse du tumulte,
Tu n'es plus "Modesta", tu es marginale,
Tu es une majuscule, sûrement pas un point final