Arno Calleja
[Il était une fois...]
[Il était une fois...]
Il était une fois, je n'étais pas encore né, et les rivières coulaient déjà depuis longtemps. Il y avait du temps et il y avait de l'eau voilà ce qu'il y avait. Le reste n'importait pas car le reste c'était de l'air.
Plus tard je suis né et je me suis baigné, dans la rivière, et je me suis mis à lui boire son eau à la rivière, et les choses étaient commencées. Je date l'instant de ma naissance à la fois où, je date ma naissance à l'eau qui coule et qu'on boit, et pas au calendrier.
Un jour tu es devant la rivière, et tu te penches et tu la bois, et alors tout peut mourir. Je revois la scène, et je me dis. Tant que tu gardes en mémoire l'image de la scène de toi accroupi et qui boit, tu peux mourir heureux, et alors tu peux commencer à vivre. Après, cela n'a plus d'importance et tu peux remplacer la rivière par un bar, et cela n'a plus aucune importance.
J'ai commencé à vivre sans importance au jour où j'ai revu la scène en image, la scène de la rivière, en mémoire, et je peux dire depuis cet instant je vis heureux.
Le remplacement de la rivière par un bar vaut le remplacement de la parole par la radio, vaut le remplacement du mental par la télé. C'est les choses, on peut les faire valoir. Surtout du fait que les choses se valent.
La nuit, enfants, avec ma mère mes sœurs, pendant les vacances, après le dîner, nous sortions en forêt, et là haut le ciel de mer s'enfonçait dans les arbres, et alors, alors les branches étaient des algues. Depuis pour toi les branches sont des algues.
Il est difficile de se parler la nuit quand on marche dans la forêt à cause du froid et aussi à cause de la peur. La peur on ne peut pas l'éviter, qui qu'on soit. La peur est le grumeau dans le liquide quelque chose de tous côtés qui te parle et te dis tu vas mourir. Quand on l'entend, pour ceux qui sont prêt à l'entendre, suffisamment épluché pour l'entendre, alors on vit plus heureux.
On meurt toujours en mer, où qu'on soit, surtout en forêt on meurt toujours en mer, à moins de se sentir soudain être ciel. Même vaguement. Un ciel aussi a besoin d'une maison, a besoin de cheveux, de nourriture et d'habits secs.
Un jour j'étais enfant et je marchais dans la forêt un adulte dans la main. Et dans le touché de sa peau, l'adulte c'était ma mère, et dans le touché de sa peau dans le froid de sa main j'ai senti que pour l'adulte le ciel n'était plus une mer, que le ciel n'était plus une mer depuis longtemps mais une masse, une masse figée, une masse opaque qui le menaçait en passant du bleu au noir, en rythmant ses jours, ses jours d'adulte dans la terreur. Et j'ai senti que pour un adulte la mort était le socle de sa pensée.
C'est de ce jour que j'ai vu en vrai la mer bouger en haut depuis la forêt.
Et j'avais mon petit sac à dos avec dedans un gouter et alors, ce qu'il te reste à faire, ce qu'il restait à faire je le faisais, tu prends le sac à dos et tu le lances dans le ciel et il tient, il tient dans le ciel, et tu dis ho un ballon, regarde il flotte, et il y a un calme à le voir flotter. Ma mère ne l'a pas vu le ballon, ma soeur ne l'a pas vu, parce que c'était la vue de l'enfant sur la scène qui faisait tenir le ballon dans le ciel.
Alors depuis ce jour là le ciel pour moi est une mer, qu'il avait en fait toujours été. Un mouvement de mouillé, bleu et blanc délavés, comme un glaviot laissé dans un mouchoir plié, dans la poche de ton short. De ce jour j'ai su que je serai heureux. De ce jour là le voyage a commencé, pour moi, dans la forêt.