Salvador Espriu

katalanisch

Mathilde Bensoussan

französisch

Pel meu mirall, si vols, passen rares semblances

Davant el meu últim mirall, en veure’m
sencer, malalt, potser acabat,
potser damnat, tan pàl lid,
vaig dir molt lentament clares paraules
belles, fràgils, altes, les més nobles
que trobava en la foscor del meu record.
Des de sempre, però, allí hi havia
grasses, molles, llefiscoses bèsties,
que dels racons venien fins als llavis,
a rosegar-me els mots mentre naixien:
no sents encara la remor profunda
de pergamí, d’ossos trencats, de vidre?
I al mirall, entretant, es reflectia
a poc a poc una perversa imatge,
el signe de la qual podràs entendre,
si fas també, com jo, l’estranya prova
d’esguardar el teu bon fons, quasevol hora,
tot intentant de nou una impossible,
inútil creació per la paraula.

© Sebastià Bonet Espriu
Aus: El caminant i el mur
Audioproduktion: Biblioteca Nacional de Catalunya

Sur mon miroir, si tu veux, passent d'étranges ressemblances

Devant mon dernier miroir, en me voyant
tout entier, malade, fini peut-être,
peut-être damné, et si pâle,
je dis très lentement des mots clairs,
beaux, fragiles, hauts, les plus nobles
que je trouvai dans l’ombre du souvenir.
Mais, depuis toujours, il y avait là
de grasses, molles, gluantes bêtes
qui de tous les coins venaient jusqu’aux lèvres
pour ronger mes paroles à leur naissance :
n’entends-tu pas encore la rumeur profonde
de parchemin, d’os brisés, de verre ?
Et sur le miroir, alors, se réfléchissait
peu à peu une image perverse,
dont tu pourras aussi déchiffrer le signe
si toi aussi tu fais, comme moi, l’étrange preuve
de regarder ton bon fonds, à n’importe quelle heure,
tout en essayant à nouveau une impossible,
une inutile création par la parole.

Traduit par Mathilde Bensoussan
in: Seigneur de l'ombre, Anthologie poétique bilingüe: Editions Pierre Jean Oswald, 1974.