François Emmanuel
Portement de ma mère (XXXII) [Du lointain où je te regarde]
Portement de ma mère (XXXII) [Du lointain où je te regarde]
XXXII
Du lointain où je te regarde, ton souvenir est presque doux, comme les lumières ambrées du souvenir, la peau des jeunes femmes, parfois je ne te vois plus, je t’ignore, je t’ai perdue, parfois tu viens à la faveur d’un rêve et tu dis quelque chose qu’aussitôt j’oublie, me laissant l’impression vague et tenace d’être passée un peu par hasard, déposer un colis sur le seuil, alors je dis j’ai rêvé de ma mère, je parle un peu de toi, nous parlons de toi, les langues se délient, quelqu’un dit elle n’aurait pas aimé, elle aurait été si contente, tu entres ainsi dans les conversations faciles, tu es une mère morte, parfois je marche au milieu de la route et je me retourne brusquement pour voir, mes yeux sondent la pénombre mais il n’y a rien, parfois je sens que tu veilles dans l’ombre à l’achévement des choses, tu tiens ma main pour qu’elle ne tremble pas, parfois je suis heureux de vivre, j’aime le vent d’automne, la chanson de l’eau, la lente mue des paysages