François Emmanuel
Portement de ma mère (V) [Sonne le glas dans la cohue matinale]
Portement de ma mère (V) [Sonne le glas dans la cohue matinale]
V
Sonne le glas dans la cohue matinale, l’annonce du Terrible, et les pères enchasublés attendent sur le parvis de l’église ton corps en son coffre vernissé de bois lourd, en son habitacle roulant aux flambeaux de verre torsadé, et qui s’approche avec sidérante lenteur, ainsi sont devenues les cérémonies funèbres, des usuels de Dieu aux fonctionnaires en képi noir, là-haut le tintement des cloches, ici le déclic mat des loquets métalliques alors qu’ils t’extraient d’un jeu de glissières, et des uns aux autres à pas mesurés nous te portons, tes fils, dans la nef glaciale, comme est lourd ce cercueil mouluré en bois exotique, comme est infinie cette progression sous la haie des regards, mais d’où vient cette pesanteur, à croire qu’il nous faut lutter à chaque seconde contre l’attraction de la terre, à croire que tu nous y appelles, nous qui t’avions pourtant connue si légère, avec tes jambes aux muscles fondus, tes poignets dont saillait l’os, lorsque prenant appui sur ton souffle, nous te remontions sur le lit d’oreillers, faisant naître un fugace sourire, entrez dans la demeure du Très-haut, invite le prêtre, mes frères et mes soeurs, il dit, mes frères et mes soeurs