François Emmanuel
Portement de ma mère (III) [Et tout cet affairement dérisoire]
Portement de ma mère (III) [Et tout cet affairement dérisoire]
III
Et tout cet affairement dérisoire, ces va-et-vient, ces mots, l’amie est prévenue, il a appelé les pompes funèbres, l’annonce paraîtra mardi, demain la mise en bière et mercredi l’enterrement, la messe aura lieu à F. et l’inhumation à D. dans le caveau de famille, toutes ces informations que l’on s’échange à gorge serrée pour occuper le silence, tandis que les regards s’évitent, les corps pèsent, se rencognent, les visages se dissimulent, inquiets de tant de nudité, hommes qui pleurent, tes fils, femmes, tes filles, qui sourient au travers des larmes, plus habituées au chagrin que l’on montre, quelqu’un dit elle peut rester à l’hôpital jusqu’à cinq heures, ensuite elle rentrera à la maison, errance du langage, plus tard on évoquera le corps ou le cercueil, avec précaution, on contournera cet étrange à dire, non ne dites pas maman est ici ou là, ne dites pas elle repose, que le passé, l’imparfait du verbe envahisse la phrase, et appelez les prêtres, les maîtres de cérémonie, appelez ceux qui parlent d’âme, couvrez tout de mots mystiques, des mots porteurs de silence, des musiques divines