Stéphane Despatie
Mauve chaconne (extraits)
l’heure mauve se glisse
entre les branches un reflet
un rayon chaud sur le froid-neige
une ondée de lumière s’ajoute
saison sur saison
à la peau habituée du paysage
l’ombre bascule
l’espace se respire
les vaisseaux se détendent
des chemins se découvrent
se retrouve le goût d’apprendre
je marche discret dans Gramercy Park
comme en plein sous-bois
l’éveil se fait partout
les rides d’un vieux poète
sont autant d’échos
que les taches sur les mains du peintre
mon père devant le calme lac
une vapeur d’un courant chaud
s’accroche à juillet pourtant déjà passé
appelle le becsie devant le caniveau
Broadway ou Baie-du-Lac une parole est donnée
la ville est alphabet
mais un désordre gagne une pureté de vent
comme un regard Bugatti sur un Riopelle
la vitesse et les arbres qui passent
font des aînés des œuvres éphémères
une danse sur glace qui cède
un Peau-Rouge se fond à la brique
et je ne sais plus ce qu’est la mémoire
ni si la mort est une absence
je ne pense plus à elle
car je m’oublie un instant
hier Menuhin est décédé
mais c’est lundi dans la chemise de l’homme taxi
il m’emmène à la montagne au cimetière
sans s’inquiéter de la fleur que j’écrase en ma main
un pinceau tremblant glisse
sur le dos d’une infirmière de papier
la couleur malade est fidèle
le temps commerçant
cherche une église
pour s’avancer plus loin
dans la maigreur ambitieuse
un squelette se dessine déjà
mais un sourire de lumière
démontre l’avance du sage
il fait noir ce matin au quai
le héron les avions dorment à moitié
pour moi le ciel est dans l’étang
aucune nervosité ne s’entend
dans l’atmosphère de départ
le soleil tarde derrière la porte
gêné de troubler le temps
il est midi il est cinq heures
l’instant est vaste et mon souffle sans fond
je crois au sang au courant d’air
l’amour le vrai n’a pas de choix
un rat cul par-dessus tête
court se glisser dans Madison Square
mon père j’aime une femme
qui se couvre de froid dans les buissons ardents
que de choses non poétiques
piquent le blanc de ses yeux
sans fleurs ni couleurs
ils grattent le ciel pour sentir le soleil
édifices nés de crises de soifs
y tourbillonnent le vent les ventes
regrettent les horizons où court la louve des ponts
je parle anglais compte arabe
cherche la nudité d’un bouleau blanc
poser ma langue sans toucher des dents
la beauté des nœuds la fragilité des branches
des mots arrivent
poudrerie tuque sauvage œil neige
chaleur chocolat enfant vent
et engoulevent
la route l’odeur de boulangerie
la liberté des sens effleurant ma mémoire
rapporte un sac de billes et des nuits avec elle
tendre douce la main d’une maganée
sur mon ventre qui ronronne
l’amour est trop là pour la tranquillité
le piano donne une lune pleine
une éclaircie en sentinelle
un dessin de mon père du temps des vieux décors
l’enveloppe craquant un souvenir de l’autre bord
je chante l’épave d’un vaisseau noyé par la peur
une terre est vendue sa cabane souffrira
les pensées d’entre-guerre ont défriché les lieux
déterré le galet pour recevoir famille
accumuler les rides pour y placer des fleurs
plus tard sont venus le bran de scie
les clous la pierre peinturée
un quai s’est avancé au lac
comme une lucarne sur le ciel
des chèvrefeuilles presque naturels
ont grimpé la pente ont tracé la légende
une baignade vers le radeau des risques
les vagues d’août veulent étouffer l’union
que souhaite le chien blanc d’ange
la langue pendue sur les rames du temps
un sentier de désirs se tend
l’étreinte entre quatre yeux s’écrit
en lettres vives dans les paumes
flotte la nuit dans la salive en quête
corps buvards en orbite
le poète dans l’univers s’arrête à Crémazie
station souvenirs
la chaconne de Vitali
revient en nuits fauves
par les ondes oubliées
mon terrain s’épuise sous le doute
les épluchures de soleil traînent sur le sol
poussent sauvages les herbes fuyant la forme
mon père au gris écoute
l’écho des idées sur le chevalet
sept pas seulement
entre saisir et capturer
l’aura du fruit pressé