Gioia Kayaga
Le Père
Le Père
Au fond de sa tanière, jour après jour,
Le Père façonne ses rejetons : des enfants
Sourds, à force de mystères, de silences.
Patiemment, il leur apprend à se taire.
Car le Père ne répond pas, non jamais : Il ordonne.
De trop rares soirs, Il raconte des histoires,
Toujours les mêmes pourtant jamais la sienne,
Jamais celles des naufrages, des matins clairs,
Ni celle des nuits chiennes de son enfance, noire.
Car le Père ne transmet pas, non, jamais : Il somme.
Le Père pose une clôture de barbelés
Autour du terrain vague de son passé,
Frontière d’une génération apatride,
Limite à sa quête, barrière invisible.
Car le Père ne ment pas non, jamais : Il omet.
Il a emprisonné sa langue première
Derrière des lèvres, cousues de fil de fer,
Ne la libère que certains soirs de fête,
À des oreilles absentes, qui n’entendent guère.
Car le Père n’enseigne pas non, jamais, Il égare.
L’hiver, Il jette les bûches de ses souvenirs
Dans les flammes du foyer, sa mémoire brûle
Et réchauffe les sangs stériles qui circulent
Au creux des veines de sa progéniture.
Car le sang du Père ne meurt pas, non, jamais : Il recule.