Patrick Beurard-Valdoye
La chênaie de Lipica
C'EST DANS la brume de l'aube
d'avant le chant des cigales
quand les vieux chênes appellent la rosée
debout sous une yeuse je lis
à voix haute orientée vers
Duino la huitième élégie
le dehors nous ne le connaissons
que par la figure de l'animal
quand mes yeux à l'œuvre
rencontrent flottant dans
les fumerolles à ras d'herbe
une daine et son daim
immobiles de profil à
quelques pas du poème
me priant de poursuivre
je retiens mon souffle le regard
plongé dans l'ouvrage mais
lorsque sont prononcés les mots
mit großem Tierblick
d'un grand regard animal
ils s'enfuient me livrant au silence
ont-ils senti l'arrogance humaine
ma voix a-t-elle crescendé
les chênes les ont-ils alerté
d'une nécessité plus haute ?
l'espace est stupéfait
mes yeux tout ouïe
tracent à nouveau la démarcation
entre l'animal et moi
un instant oubliée