Patrick Beurard-Valdoye
Hjertøya : Kurt Schwitters
Hjertøya : Kurt Schwitters
1
TOUT BRUIT EST EXCLUS
quand départ la dernière vedette
qu’elle dépasse le port si réduit
la maison du gardien-pêcheur
bruyères bourdonnantes d’insectes en face
du récif où la mouette porte plainte
l’écho dans la baie quelque répons
de la corneille mantelée
soudain l’aigle de mer pointe le bec
il entrebaie royalement
corneille mouette pourchassent harcèlent :
qu’il cède
à une époque un aigle impérial
s’amarra en baie le bruit courut
qu’il venait goûter l’aquavit du gardien de l’île
vint en son temps le peintre-princier
le matin en cuisine buvant son café bouillu
calme pour attirer le chat du pêcheur
sans quoi la journée s’annonçait maussade
2
Reflet de marée de baie
caisse désaffectée arbre-cathédrale
tronc de bouleau cubitainé
crabe sur mousse aplati
et varechs vésiculeux
mousse mouvante en surplomb
pleine d’airelles et de baies rouges
écorce de schiste tachetée d’ocre
planche striée sur stries à veines vertes
écorce étendue au pied d’une rangée
d’arbres morts dressés écorcés
dérangés par le regard
dans cette baie le peintre en exil
ajoute une croix au paysage
il amasse résidus merveilles
plein de bazars à merzer en vue
de collages auxquels les regards bleus
restent muets comme une huître
3
Les montagnes emprises aux nuées
demeurent indescriptibles
chaque bleu qui enferme leur galbe
n’est pas nommé
il n’est de symphonie que cette île
à échelle humaine
il s’agit d’accumuler les points de vue
les épuiser qu’ils se muent en points de fuite
tant de beauté par grains éprouvante
le paradis devenu invivable
tout brûle alentour de la ville bleue
au fond sur le continent le pastel
des remparts montagneux flambe
la baie est devenue un cimetière d’arbres
et de crabes
et dans son exode désespéré
le peintre-princier aperçoit
son visage au reflet visqueux
dans la glaire d’une méduse échouée
le dernier papillon s’échappe
de la nuit en train de revenir :
il faut fuir cette île avec les matelots
en imaginer une autre sans passeport
espérer ne pas sombrer en heimatlos.