Linda Maria Baros
Cat in the Bag
Tu dis ville et la ville se voit pousser d’énormes oreilles
par-dessus les HLM.
Des crocs en béton lui poussent,
des canaux au museau de fauve se jettent sur toi
et lacèrent tes chevilles.
Tu dis ville une deuxième fois et la ville te fouette
avec ses infinies cordes de néon.
Ses griffes acérées lacèrent ton visage, ta chemise,
t’enfoncent dans un sac à chats.
Les rues mettent en marche leurs moteurs,
leurs machines à hacher,
dévoilent la texture de mazout de la nuit,
les rotules, les moisissures, les frères Gracques !
Tu dis ville une troisième fois, la ville aux boulevards hérissés,
aux fourrures translucides des klaxons,
aux vitrines tirées au cordeau des trottoirs,
comme des chouettes
qui tournent leurs clients à l’envers dès le premier trille,
aux gangs où poussent les ténèbres et les fabriques de keuros.
C’est alors que la ville ressemblera, pour un instant,
à une énorme tête de pierre, écroulée sur la nuque,
le regard fixé sur le ciel…
C’est alors que la ville, comme une noix, dans tes griffes, éclatera.
Mais tu n’as pas le temps de dire ville, que le ciel s’obscurcit
comme tous les jours dans la grande ville, comme si
une vache mettait bas au-dessus de ta tête.
La nuit se jette sur toi, te ligote, tire le couteau.
Et la pluie se met à tomber. Tu trembles.
Ton tympan a éclaté ; couvert de plaies, ton dos.
De ta gorge, par vagues, jaillit le sang,
bleuâtre et noir, sur les cordes de ta chemise,
comme les troupes SWAT qui descendent des nuages
au long des tubes vitreux de la pluie.
Quand tu ouvres les yeux, tout est blanc à l’entour.
Ne dis pas ville à travers tes drains !