Lisette Lombé
ASMA
ASMA
Asma, rappeuse braise aux rimes panthères
Armée d'un feu qui ne guerroie
Qu'aucune noirceur ne désespère
Et que n'épuisent nos désarrois
C'était un 14 mars. Je lui ai dit : J'ai honte de toi. A compter de ce jour, tu n'es plus ma fille. Tu n'existes plus pour moi.
Je lui ai dit ça comme on tranche dans la gangrène,
avec l'oeil dur et le geste inhésitant de ceux qui sont intimement persuadés qu'une
vie amputée de sa sève vaut toujours mieux que n'importe quel néant.
J'ai attendu les cris, j'ai attendu le coup de poing sur la table.
Mais elle n'a rien dit. Strictement rien dit.
C'était un 14 mars.
Le lendemain ma fille a pris un avion pour la Turquie, en compagnie d'un garçon prénommé Anouar.
Le corps de ce garçon vient d'être retrouvé à cinq kilomètres au nord de Raqqa, en Syrie.
Pas celui de ma fille.
Aucune trace de ma fille, Aucune trace du corps de ma fille
Est-ce que vous vous êtes déjà demandé ce qu'il advient d'une adolescente
idéaliste entourée de montagnes, de bourgades en ruine et d'hommes, aiguisés au combat ?
Asma...
Il aura donc fallu cet insensé périple pour que j'entende enfin sa voix !
J'ai lu tous ses textes. A rebours, ses poèmes ; à rebours ses chansons, à rebours
ses brouillons. J'ai lu tous ses textes.
J'ai lu que j'étais un mouton camisolé tournoyant dans ses quatre mètres carrés de
cuisine jusqu'à l'anesthésie de sa sous-citoyenneté.
J'ai lu que le déshonneur ce n'était pas de monter sur scène
Que le déshonneur c'était d' élever ses enfants dans la peur de la lumière.
Que le déshonneur c'était de briser des jeunes ayant fait le choix du grand
renversement de la quotidienneté
J'ai lu que le déshonneur c'était moi.
Je voudrais que ma fille me revienne
Même radicalisée jusqu'à la moëlle
Même fichée, même déchue de tous ses droits
Je voudrais que ma fille me revienne
Même transhumante, Réfugiée parmi les réfugiés
Parquée comme un animal à la semelle de l'Europe
Trempotant dans le sang des premières règles, des premières fois
Des fausses couches et des vrais coups
Qu'elle me revienne
Même abîmée, même suintante
Qu'elle me revienne
Même nue, même rampante
La serrer tout contre moi
Même dans un sac, même dans une boîte
Qu'elle sache qu'elle avait raison
Pour l'inépuisable beauté du monde
Pour l'humanité qui ne renonce en personne
Pour l'amour, pour la révolte
Pour la magie et pour l'exil
La serrer tout contre moi
Même dans un sac, même dans une boîte
Et lui demander, lui murmurer, lui chuchoter
Pardon
Pardon
Pardon