Abdelwahab Meddeb
L’étranger en face
de ce qui rayonne
lumière sur les feuilles
le vert
s’argente
et vibre au vent
éclats qui
dansent
en plein soleil
l’ombre assombrit
la terre qui,
pas après pas, se lève
bouquets de poussière
s’alliant au brillant
des feuilles
pellicule sur quoi s’imprime
le passage des fourmis
(les aïeux en faisaient une bouillie)
La vue qui ressort de la mémoire
est bue
par les vestiges de la retraite
qui avait accueilli le soufi
sur le sol d’Andalousie
avait-il cueilli une branche
à midi quand les fleurs ont été battues
par la pluie qui fixe la poudre
et filtre l’air ?
la forêt se recueille
transparente
au creux de la main moite
je n’attendrai pas par canicule
le retour de la brume –
pour jouir de ses aires de fraîcheur
là-bas au voisinage du chêne
et des glands dont se paît
la bête aux pattes noires
plus bas sur l’autre rive
la steppe cède
au tapis d’alfa et d’armoise
y humer la fleur
d’un seul jour
née de l’ondée soudaine
qui lave les jujubes
sur l’argile qui craquelle
il m’est arrivé de planter la tente
et de tremper au petit matin
mon pain dans le suc
qui a coulé d’entre les pierres
pour tacher de si près la toile
au front de l’odeur âpre
émanant des meules
se répandant dans les airs
le long d’un chemin qui cahote
vers la haine
cendre chaude enterrée sous le sable
ne vous ai-je pas dit
que ces arbres dansent en attendant
la saison
où mon fantôme
se découvre à la poursuite du jus
qui s’extrait des fruits ?
la chair
autour du noyau gicle
faut-il les cueillir
tant qu’ils restent verts
ou attendre qu’ils s’adaptent au noir ?
j’en aurais fait une encre violette
pour transcrire ces mots
sur le blanc de la serviette
dès que la joue en reçoit l’embrun
le noyau pressé transmue
le fluide en liqueur d’or
avant de frôler les parois
de la gorge qui reçoit
une aura de noisette
la peau aussi s’en enduit
et le pied oint perd l’allée du roc
celle même qui piège
le tronc chargé d’ans
le flux relâche le tissu
des talons
portant la stature du héros
coureur ou lanceur de paix
il faudra le couronner d’un rameau
qui célèbre du vert son lot d’argent
j’ai encore peu dit de ces corps
noués démultipliés verrues
enchaînées aux sillons
fendus troués traversés par le vide
là se creuse la niche de prière
maison de l’orant qui s’éprend
d’archives millénaires
traçant les années fastes
et les irruptions de soif
au voisinage des raquettes d’épines
qui délivrent le Sabra de sa colère
il arrache l’olivier
très présent sur l’esplanade
où s’égrène la souvenance
qui mêle le sacré au saint
il l’exhibe renversé
la tignasse des racines
enveloppée de terre
entre la coupole d’or
et le mont qui au pluriel
en exalte le nom
au galop du cheval ailé
comme frondaison d’argile
lente à se mouvoir avec le souffle
il est temps de changer d’abri
s’éloigner des coteaux de Galilée
et suivre les files qui coupent
les champs de Calabre
à moins de cingler marin
attiré par les crânes qui scintillent
sur l’île où croissent
les fleurs de l’oubli
et donner à l’arbre le sens du voyage
dans la blancheur j’en touche
le masque migrant
vers la brume de Paris
en un jardin qui par temps de givre
rêve de paix
déplacé des franges du désert
au pays où le béton est maître
encore faut-il dessiner des rigoles
qui – où ça manque –
orientent l’eau goutte à goutte
sur une terre en quête de salut
la voix verte le rappelle
quitte à avaler toutes les directions
à affoler la rose des vents
à désorienter les boussoles
tel l’aimant le fer
le bec de la lampe
retient la flamme
pour donner
lumière à la lumière
ni d’Occident ni d’Orient
les amants mettent à nu
l’entaille de leurs greffes
ils montent à cru des souches
glissant à la manière de serpents
enroulés autour de la jarre
qui de vin bouillonne
l’automne les oiseaux crépitent
autour des fruits mûrs
attrapés par le filet jeté
sur les branches
savourer en leur chair
l’olive qui l’a nourrie
chair qu’imprègne la graisse
nuées qui chuintent
fruit du fruit sur le fruit même
ça se déguste au soir
lorsque l’eau passe par le réseau
où s’entend l’heure
elle s’écoule
au grincement de la clepsydre
noria taillée dans le bois
qui provient de l’arbre mort
où loge l’oiseau d’octobre
friand de l’huile qui le dore
et dont le lustre se projette
sur la face de l’étranger messie
tel qu’en lui le droit abolit
tout devoir
Jérusalem, le 19 novembre 2008