Carole David
Les Poètes boivent des martinis
Les Poètes boivent des martinis
Pour saluer Ann Sexton et Sylvia Plath
Sylvia et Ann boivent des martinis dans le bar d’un hôtel à Boston.
Leurs robes aux motifs soyeux s’enroulent autour de leurs doigts;
elles se demandent s’il faut être hanté par la vaisselle
et les draps pour écrire des poèmes dans lesquels
les objets volent entre vers et prose, atterrissent
sur les murs de la cuisine et se fracassent au cœur
des images ou des phrases déclinées durant leurs années
d’apprentissage. Les deux femmes, ménagères averties,
écrivent sur les boîtes de macaronis, les mélanges à gâteau;
Betty Crocker est une muse, spatule à la main, elle
scande la mesure de leurs cris étouffés dans le garde-manger
de la cuisine. Les portes d’armoire claquent, le lavabo hurle
ses déchets accumulés par la famille. Sylvia et Anne boivent
des martinis, leur tête est lourde, le travail s’accumule
depuis leur départ de la maison. J’écoute leur conversation
cruelle et fatale, je suis derrière elles, subjuguée par
leur maîtrise des mots et de l’art ménager; émue je m’incline
devant leurs voix. Je n’ouvrirai pas le gaz de la cuisinière.