Jean Portante
extrait de POINT DE CHUTE
extrait de POINT DE CHUTE
JE PENSE À CETTE FUMÉE qui tombe et ne parle pas
de chute mais d'adieu
comme quand part de ta main le cerf brûlé
ou le feu du jardin que toujours tu réanimes
et aussi à la locomotive dans ma tête
qui dévore le charbon
colonne de tristesse montant très haut ou très noire
ou plus noire encore
est-ce ainsi qu'ont bougé en moi
l'animal brûlé le sentier carbonisé la forêt calcinée
le retour vers du plus loin avec des mots de charbon
et dire que toujours quelqu'un retrouvera
en cela ce miroir qui de la vie reflète
la mort de la mort la mort encore
comme si une corde commençait à chaque mot
comme si tant de charbon ne blessait
que qui ne sait plus tomber
comme si monter si haut brûlait la corde
pas le charbon
JE PENSE À MA NUIT SI LONGUE plus longue qu'un siècle
ou à mon train sans ailes sur l'amour des rails
est-ce cela qui m'attend
ou plutôt l'eau dure de mon fleuve
ou mon fleuve à escorter jusqu'à la mer
ou mon fleuve qui comme ma nuit ou mon siècle
mènent ou non au train de mes souvenirs
ou ces autres fleuves moins étroits
et ces autres nuits
et ces autres siècles avec leurs hommes mouillés
et leurs femmes mouillées
ou mon fleuve encore ou ma nuit ou ma mer
ou mon siècle
qui gèlent et brûlent les bateaux comme si
au beau milieu de l'eau s'éternisait la guerre
ou cette question que regrettes-tu
sinon d'avoir lutté trop tôt
ou trop peu
ou ma feuille de papier ou de nuit
avec deux bords comme chaque siècle
ou au beau milieu de la cuisine ma table bavarde
et mes chaises
ou ma nuit parlant dans la cuisine
avec mon train du sud
ou mon train du sud qui blanchit
les murs des maisons
ou mon train du sud qui descend
ou comment descendre plus
bas que mon sud
TOUS LES FEUX SONT ÉTEINTS et le vent un certain vent
comme quand parle l'essoufflement ou la soif
ou le ciel oblige au tâtonnement
le long des maisons
au porte à porte bois fatigué de brûler
que sait-il de l'aveuglement
la nuit tombe non loin de là
et nous la veillons comme on veille
une ombre qui descend
ou un manteau que l'on met
ou qu'on jette ou qu'on donne
ou un rideau qui tombe quand l'histoire est finie
et qu'applaudissent dans la salle
et partent les mille dernières mains
mais que fais-tu dans cette nuit si parfaite
que faisons-nous sinon nous rapprocher
de l'arbre aux cerises noires
de la colline aux arbres noirs
du paysage aux collines noires