Lisette Lombé
DE LA CARESSE DES SEXES NAISSENT LES POETESSES
Je ne me souviens pas à quel âge j'ai commencé à avoir honte de la promiscuité
dans laquelle nous vivions. Honte de la cité, du béton répétitif. Honte des motifs, tracés par la carie, sur l'incisive du petit ami. J'ai grandi dans la honte. Je me suis mise à parler de cages à poules et de boîtes à sardines. J'ai écrit le mot ASPHYXIE, en grand, en gras, sur l'avant-dernière page de mon précis de grammaire française.
Qu'est-ce qui délivre ?
Qu'est-ce qui infléchit une destinée ?
Qu'est-ce qui affranchit ?
J'aurais dû pourrir sur place mais je fus sauvée par mes lectures... Le palais des
livres... C'est ainsi que j'appelais l'intérieur de notre appartement. Soixante mètres carrés. Deux adultes -lorsque mon père ne courait pas les bars ou le monde- , une fratrie nombreuse -dont on m'a longtemps assuré que j'étais l'aînée-, un chat noir et trois bibliothèques. Des centaines de livres comme des centaines de déchirures dans le plastique d'un sac bon marché, noué autour de nos têtes. Nous étouffions sur plusieurs générations mais de cela, on ne parlait jamais.
Bibliothèque numéro un. Des dos roses. Des dos verts. Des dos roses et verts.
Comment rassasier l'enfant ogresse avec des dos si menus ?
Où trouver de quoi agacer la clarté naissante entre ses cuisses ?
Next !
Bibliothèque numéro deux. Celle où les oiseaux se cachent pour mourir. Décor pour l'ego. Pour se convaincre, pour rappeler à chaque personne qui s'affale dans le canapé en skaï que l'on n'a rien à faire dans un logement social, que l'on est juste de passage.
Next !
Numéro trois. Où poussent les fleurs du mal. Attendre que les parents partent en vadrouille. Mauvaise herbe parmi les mauvaises herbes. Chambre des parents. Fouiner. Armoire des parents. Fouiner. Edition de luxe du kâma sûtra. Manuels de sexualité. Revues pornographiques. Fouiner. Vent qui souffle les petites culottes.
Vent. Petites culottes.
Miroir, miroir, à quoi ressemble mon sexe ?
Miroir, miroir, serai-je un jour assez souple pour devenir cette acrobate nue ?
Je veux jouer à toutes les caresses, apprendre, saliver, lire, lire encore, me transformer. Balançoire, serpent, roseau, grenouille, missionnaire. Capturer cet instant où la honte se fracasse à l'orgasme. Que la beauté des images s'agite autour de moi, danse, danse pour moi- kâma sûtra kâma sûtra – transpiration, textures, puissance du ventre - kâma sûtra kâma sûtra – émotions, vibrations, respire - kâma sûtra kâma sûtra - en rythme - kâma sûtra kâma sûtra - en rimes - kâma sûtra kâma sûtra – poésie.