Paul-Marie Lapointe
COURTES PAILLES
1
dans ma peau s’effritent la terre fragile
ses plantes
nés d’elles et du feu des minéraux
l’entière géologie
2
la fleur ne pénètre en la fille que hantée par la mort
et s’y construit une fragilité
elle craint qu’une ville ne périsse
brûlée
ses hommes ses maisons
les jardins dans la pierre
saison pernicieuse menacée de mort
3
année faste
tu pèses le poids d’un baiser
l’éclatement d’un astre avec un cri
4
divinité embusquée
entre les pierres cachée
qui tombe de l’arbre comme pomme
ou surgit ô geyser et soudain
en un siècle quelconque
autrefois ou demain
vous saisit à la gorge
mystère de la terre
5
la respiration d’un amour
emplit l’espace de la nuit
comme une mer minuscule ferait
dans leur sable
ses îles plus ou moins grandes
selon l’angoisse ou l’abandon
6
survole-moi astéroïde
la bouche que j’aime te salue d’une source où la
fougère le dispute à l’intransigeance d’être
aimée toute la vie ainsi qu’un bousquet et plus
tendrement encore comme être envahie par la
mer et les larmes
7
le cristal de la mer
(car je la survole) :
transparence où se meuvent des chaleurs
et la fluidité manuelle du vent
il arrive de l’autre bout du monde
ne conservant des continents et des îles
que lumière
et le peuple mouillé des amours
8
comme par la pluie
ou la passion
je suis traversé par une musique en larmes
coléreuse amoureuse
frappée de jungle accablée de chaînes
travailleuse de fouet
plus souple que la démarche d’une amoureuse au
cours de l’amour
et comme elle se transperçant
faisant la terre entière chavirée
criante
9
dans la glaise l’amante ancienne et blanche
dans le calcaire l’espace tendre de ses os
dans le plumage d’un oiseau
une planète de frisson
10
détresse ô noire
pavillon des cris l’archange ploie sous le fardeau des
pluies
quelle nuit traversée par les lames de l’effroi
détresse comme un cœur
la hanche bat trajectoire d’une terre suffoquée
j’irai dormir dans l’effroi des alliages
sous la menace des vitesses
coffrées
11
naissance du vert
elle couvre les passantes d’une attention frémissante
dans ses branches s’allument des passions chaudes
des familles entières de soleils
le goût de l’écorce ne suffit plus à contenir mon sang
ni ma ferveur
tendresse rigide de l’été
12
pluie des petits hommes
je te salue
comme la venue d’une cinquième saison
13
les poussins picorent
on ne soutient pas ce rythme
cette immanence de la terreur
le béton se charge d’immoler aux dieux
les révoltes les attentats
les méduses sont étalées dans le soleil
14
un grand corps alimente la ville en oiseaux
longues sessions coiffées de paumes
où se préparent des paresses
une bête solide et peu vorace
qui ne demande qu’à être grugée
chaque printemps telle s’effrite la chaleur
et l’homme par l’intérieur
les musiques nous assaillent
ainsi les satisfait-on
tièdes cannibales désirables entrailles
nous savourons dans le velours des châsses
des mortelles valables
aux cuisses fondantes
tigresses
sanglot
15
la sarcelle tend un cri de soleil
un filet où se prend l’été
une volière pour la mer
où bruniront les filles
leurs jambes salées
16
je construis des sagesses pour mes fils
des architectures carnivores
les familles de leurs pensées y seront à l’abri
élevant anges animaux
dans l’éclatement des parallèles
dans l’accouplement des poutres et de la lumière
les domestiquant
l’eau des larmes emporte aux lointains intérieurs
les villages anciens
les ancêtres les plus respectables
et la divinité qui du fond des âges n’a point cessé de
sourdre
entre les pierres
17
dans l’étreinte de la femme de lumière
l’outarde attristée s’envole
mais qu’après avoir enchanté les lacs
elle disparaisse aux plus torrides parallèles
tel est l’effroi des neiges
18
ainsi que la pierre la veine de verre
et la fille ses artères
l’angoisse polit sa terre