Anthony Phelps
Mon Amour
((((( Mon Amour
Femme-grenade ouverte sur le soleil
la géométrie du fagot s'épuise sous le ciel
comme une étreinte
et le corps à corps en champ clos
sur l'oranger du lit
arbre sans feuilles rompu à toute fatigue
s'apaise en gisants heureux et las )))))
Ah ! Hier encore sentinelles au large d'un Pays
nous prenions notre lourde garde
aux pieds de la petite fille Espérance
Elle dormait dans sa robe gonflée de vent salin
et son visage quoique imprécis
faisait une tâche blafarde
qui nous était lumière
et promesse d'accomplissement
Épiant les indiscrétions des nuages
nous écoutions le vent porteur de mots de terre
et nos corps habités d'oiseaux
tels des Pierrots déréglés
égarés dans les rayons lunaires
tournaient girouettes à l'avancée du mat
Frères d'exil
compagnons aux pieds poudrés
dans nos regards passe une même vision
les souvenirs en cage derrière la vitre opaque
pèsent comme une dalle
Nous n'avons plus que gestes de fumée
pour conter le temps des kénépiers en fleurs
car nous entrons dans un domaine étrange
de plus en plus tournant dos au Pays
et le verre et l'acier modifient nos croyances
((((( Nous vivons dans une ville
où la chanson du rémouleur
n'est même pas un souvenir
où nul ne se rappelle la flûte triangulaire
dont les notes aiguës
montaient et descendaient le long de notre enfance
Nous vivons dans une ville
qui jamais ne connût cet homme
doué du pouvoir de créer des étoiles
en plein midi
Ville de verre Ville d'acier
Ah sirène du midi
bourdon de la Cathédrale
vous continuez à marquer le temps ailleurs
mais pas ici
dans cette ville d'exil ))))
Nous vivons dans une ville
où ne fleurit jamais la saison des kénèpes
Ô Pays sans été
nous sommes les nègres en allés
clos de silence et oublieux
Nous sommes les nègres transplantés
assis à l'ombre des gratte-ciel
où le Pays d'hier est sans écho
La cruche d'argile rouge
ne suinte plus sur notre table
pas plus que ne résonne à nos oreilles
le tintement de la chaudière de fer
Le cri de ralliement des canards sauvages
n'excite plus notre attente dans les marais salants
ô pierres acier et pierres
butées d'un ciel nouveau
(...)
Antillais de forte souche et de longue lignée
nous parions maintenant langage de gratte-ciel
paroles de givre et mots de neige