Linda Maria Baros
Les enfants passés au tamis
Les enfants passés au tamis
C’est pour toi, pour que tu sois plus grande et plus belle
et plus droite,
que je me suis coupé le cœur en deux,
comme un sabot d’agneau.
J’ai volé et j’ai menti, j’ai craché du sang.
J’ai lavé des cadavres
et j’ai dormi sur des sacs plastique
remplis de déchets trouvés dans les poubelles,
dans des rues qui gardent toujours
un couteau à la main j’ai dormi,
parmi les écailles des vieux mendiants de la ville,
qui, en ton honneur, se sont laissé pousser
la barbe jusqu’aux chevilles,
comme les anciens Sumériens
partis chasser des lions pour leurs bien-aimées.
C’est pour toi que je me suis laissé hanter
par les cagous de minuit,
c’est auprès de toi que j’ai pleuré quand tu grattais la terre
avec les ongles, comme un cheval aux yeux arrachés,
j’ai pleuré, comme une suicidaire
dont le train réchauffe les jambes.
J’ai vécu parmi les enfants de la rue
qui inhalent de la colle, livides
comme quelques grosses pierres bercées
par les filets de l’éther,
que le tamis fait tourner dans le concasseur,
dans les égouts.
C’est pour toi que j’ai hurlé à la croisée des chemins, hissée
– sur quelque raclage hissée –
dans les fourches des barbeaux.
Je me suis laissé voler par les casseurs, par les magouilleurs,
dans le vacarme des cuillères grandes comme des pelles,
qui tintaient dans les gamelles.
J’ai erré à travers les troquets
qui sentaient le gaz, le chipset brûlé, le réseau,
je me suis frottée aux pyramides de vodka
et aux mains de tes grands hommes
– comme un chat qui se frotte au manuel d’électricité –,
ils ont aussi empourpré mon autre joue,
sans cesse leurs doigts ont heurté ma côte
et ils ont coupé mon cœur en quatre,
en riant, « parce que les auras des saintes sont ainsi »,
et ils m’ont passée au tamis
en même temps que tes autres enfants,
ils m’ont mis le bâillon d’autres paroles.
En ton nom, j’ai caché, comme une ordure,
dans mes poches, parmi les hardes,
les rats vigoureux de la trahison.
J’ai nourri, c’est avec ma chair
que j’ai nourri le pitbull du cachot.
J’ai pleuré, quand tu grattais la terre avec les ongles,
tout comme les chevaux aux yeux arrachés.
Oui, c’est pour toi que je suis entrée en force dans ce monde
comme une vague de sang
qui ne retrouve plus son chemin vers le cœur.